Albert LEVY
Biographie
Albert LEVY, diplômé d’Architecture, docteur en Etudes Urbaines, chercheur CNRS, Laboratoire Théorie des Mutations Urbaines UMR/CNRS 7136, Institut Français d’Urbanisme, Université Paris VIII : travaille sur la morphologie urbaine, le projet urbain, la conception architecturale, a enseigné à l’Ecole d’Architecture de l’Université de Genève, à l’Ecole d’Architecture Paris-la–Villette et à l’Institut Français d’Urbanisme.
Quelques publications en rapport avec la sémiotique :
LEVY A. (1994) "Purisme versus brutalisme : le fonctionnement du discours plastique chez Le Corbusier", in PELLEGRINO, P. (ed.) Figures architecturales et formes urbaines. Paris, Anthropos, pp. 469-492
LEVY A. (1996) "Pour une socio-sémiotique de l'espace. Problématique et orientations de recherche", in OSTROWETSKY, S. (ed.) Sociologues en ville. Paris, l'Harmattan, pp. 161-177.
LEVY A. (1996) "Les déménagements de Colette : mobilité résidentielle et mobilité sociale. Analyse socio-sémiotique d'un itinéraire résidentiel", in WITTNER, L., WELZER, L. (eds.) Les faits du logis. (Actes du colloque, CREA/Lyon 2 ASTER/ANTPE, Lyon, 1991) Paris, Aléas, pp. 203-226.
LEVY A. (1997) "A semiotic modelization of the architectural conception", in RAUCH, I., CARR, G. (eds.) Semiotics around the World : Synthesis in Diversity. (Proceedings of the Fifth Congress of the International Association for Semiotic Studies, Berkeley, 1994) Berlin/New York, Mouton de Gruyter, pp. 545-548.
LEVY A. (1998) "E.L. Boullée et l'architecture parlante" : une sémiotique de l'expression architecturale", in The Man and the City, Spaces, Forms, Meanings. Russia, Ekaterinburg, Architecton Publishing House, pp. 201-221 LEVY A. (1998) "Luis Prieto, Claude Lévi-Strauss, and the lessons of phonology", Semiotica 122-3/4, pp. 233-240.
LEVY A. (1999) "Le chalet, lieu de mémoire helvétique", in DESARNAULDS, S. (ed.) Le chalet dans tous ses états. La construction de l'imaginaire helvétique. Genève, Georg éditions Chénoises, pp. 85-121.
LEVY A. (2000) "Le parti architectural comme opérateur syncrétique du projet", in PELLEGRINO, P. (ed.) L'espace dans l'image et dans le texte. (Actes du colloque de l'Association de sémiotique de l'Espace, Urbino,1998), Quatroventi, Urbino, Université d'Urbino, pp. 115-131.
LEVY A. (2003) Les Machines à faire croire. 1 Formes et fonctionnements de la spatialité religieuse, Paris, Economica/Anthropos, 245 p ; Les machines à faire croire. II Pouvoir de l’espace pouvoir de l’image. La Madeleine et le Panthéon, Paris Economica/Anthropos (à paraître 2008).
LEVY A. (2005) "Formes urbaines et significations. Revisiter la morphologie urbaine", Espaces et Sociétés, Le sens des formes urbaines, 122, pp. 25-48.
LEVY A. (2006) " Un lieu médium : l’église de la Madeleine ", Medium, Paris, Editions Babylone pp. 53-69
LEVY A. (2007) "Le paysage architectural chez E. L. Boullée, ou l'architecture comme allégorie de la nature", in SANSON, P. (éd.) Le paysage urbain, représentation, signification, communication. (Actes du colloque de Blois, 1999) Paris, l'Harmattan.
Quelques publications en rapport avec la sémiotique :
LEVY A. (1994) "Purisme versus brutalisme : le fonctionnement du discours plastique chez Le Corbusier", in PELLEGRINO, P. (ed.) Figures architecturales et formes urbaines. Paris, Anthropos, pp. 469-492
LEVY A. (1996) "Pour une socio-sémiotique de l'espace. Problématique et orientations de recherche", in OSTROWETSKY, S. (ed.) Sociologues en ville. Paris, l'Harmattan, pp. 161-177.
LEVY A. (1996) "Les déménagements de Colette : mobilité résidentielle et mobilité sociale. Analyse socio-sémiotique d'un itinéraire résidentiel", in WITTNER, L., WELZER, L. (eds.) Les faits du logis. (Actes du colloque, CREA/Lyon 2 ASTER/ANTPE, Lyon, 1991) Paris, Aléas, pp. 203-226.
LEVY A. (1997) "A semiotic modelization of the architectural conception", in RAUCH, I., CARR, G. (eds.) Semiotics around the World : Synthesis in Diversity. (Proceedings of the Fifth Congress of the International Association for Semiotic Studies, Berkeley, 1994) Berlin/New York, Mouton de Gruyter, pp. 545-548.
LEVY A. (1998) "E.L. Boullée et l'architecture parlante" : une sémiotique de l'expression architecturale", in The Man and the City, Spaces, Forms, Meanings. Russia, Ekaterinburg, Architecton Publishing House, pp. 201-221 LEVY A. (1998) "Luis Prieto, Claude Lévi-Strauss, and the lessons of phonology", Semiotica 122-3/4, pp. 233-240.
LEVY A. (1999) "Le chalet, lieu de mémoire helvétique", in DESARNAULDS, S. (ed.) Le chalet dans tous ses états. La construction de l'imaginaire helvétique. Genève, Georg éditions Chénoises, pp. 85-121.
LEVY A. (2000) "Le parti architectural comme opérateur syncrétique du projet", in PELLEGRINO, P. (ed.) L'espace dans l'image et dans le texte. (Actes du colloque de l'Association de sémiotique de l'Espace, Urbino,1998), Quatroventi, Urbino, Université d'Urbino, pp. 115-131.
LEVY A. (2003) Les Machines à faire croire. 1 Formes et fonctionnements de la spatialité religieuse, Paris, Economica/Anthropos, 245 p ; Les machines à faire croire. II Pouvoir de l’espace pouvoir de l’image. La Madeleine et le Panthéon, Paris Economica/Anthropos (à paraître 2008).
LEVY A. (2005) "Formes urbaines et significations. Revisiter la morphologie urbaine", Espaces et Sociétés, Le sens des formes urbaines, 122, pp. 25-48.
LEVY A. (2006) " Un lieu médium : l’église de la Madeleine ", Medium, Paris, Editions Babylone pp. 53-69
LEVY A. (2007) "Le paysage architectural chez E. L. Boullée, ou l'architecture comme allégorie de la nature", in SANSON, P. (éd.) Le paysage urbain, représentation, signification, communication. (Actes du colloque de Blois, 1999) Paris, l'Harmattan.
Sommaire :
Texte intégral :
La sémiotique de l’architecture s’est développée dès la fin des années 60 avec l’essor de la théorie sémiotique générale1. Ses apports ont été nombreux et divers, dans des multiples directions et des applications variées. L’objectif ici n’est pas de retracer l’histoire de cette rencontre, mais de présenter, à partir de mon expérience personnelle, une contribution de cette discipline à l’étude du projet architectural, en rappelant certains points de la recherche d’Alain Renier dans ce domaine -dont il fut, on le sait, un des plus ardents défenseurs- en me situant également par rapport à son travail.
La première contribution concerne l’étude de la conception architecturale : elle est de nature méthodologique. Prendre le projet comme objet d’étude du point de vue sémiotique c’est expliciter sa conception, théoriser son mode de production du point de vue du sens, pour faire de chaque projet un cas particulier –une occurrence singulière– produit d’un modèle général, qui reste à construire. On pourrait dire, mutatis mutandis, en prenant l’exemple de la linguistique, que la conception est au projet ce que la langue est à la parole (F. de Saussure). La dichotomie conception / projet reprend donc les couples classiques de la théorie du langage, langue / discours, énonciation / énoncé (Benveniste), compétence / performance (Greimas), schéma / usage (Hjelmslev)…, pour bien signifier que seule la conception, à travers le projet, peut être l’objet d’une investigation scientifique.
Une telle approche, qui se situe dans une perspective structurale, ne doit cependant pas réduire la conception à une vision strictement paradigmatique en limitant la théorie à un pur système, mais doit inclure également le procès (l’axe syntagmatique). S’interroger alors sur la conception comme procès de synthèse qui produit le projet, c’est répondre à une double question : synthèse de quoi, synthèse comment ? Résoudre ces questions c’est construire le modèle de conception et les chercheurs vont diverger sur les réponses à y apporter. Mon approche de la conception, tout en présentant des convergences avec celle de Renier, va diverger avec les siennes sur certains points que nous allons examiner.
Une telle approche, qui se situe dans une perspective structurale, ne doit cependant pas réduire la conception à une vision strictement paradigmatique en limitant la théorie à un pur système, mais doit inclure également le procès (l’axe syntagmatique). S’interroger alors sur la conception comme procès de synthèse qui produit le projet, c’est répondre à une double question : synthèse de quoi, synthèse comment ? Résoudre ces questions c’est construire le modèle de conception et les chercheurs vont diverger sur les réponses à y apporter. Mon approche de la conception, tout en présentant des convergences avec celle de Renier, va diverger avec les siennes sur certains points que nous allons examiner.
La deuxième contribution de la sémiotique est un apport à la théorie de la spatialité. On sait que cette théorie fait cruellement défaut aussi bien chez les géographes que chez les architectes même2, sans parler des spécialistes en sciences sociales qui travaillent sur les rapports entre espaces et sociétés (sociologie urbaine), ou sur la nouvelle notion d’ambiance par exemple (souvent opposée à espace3).
D’une part, l’objet-espace peut être défini de plusieurs points de vue (géométrique, psycho-physiologique, socio-culturel…), d’autre part, il importe de reprendre la réflexion sur la complexité de l’espace architectural dans l’histoire de l’architecture, initiée par Vitruve (soliditas, utilitas, venustas) et développée par Alberti (necessitas, commoditas, voluptas), en nous resituant ainsi dans la tradition des traités d’architecture4. Mon approche d’une modélisation de la conception architecturale est basée sur deux hypothèses, en rapport avec une définition de la spatialité architecturale.
D’une part, l’objet-espace peut être défini de plusieurs points de vue (géométrique, psycho-physiologique, socio-culturel…), d’autre part, il importe de reprendre la réflexion sur la complexité de l’espace architectural dans l’histoire de l’architecture, initiée par Vitruve (soliditas, utilitas, venustas) et développée par Alberti (necessitas, commoditas, voluptas), en nous resituant ainsi dans la tradition des traités d’architecture4. Mon approche d’une modélisation de la conception architecturale est basée sur deux hypothèses, en rapport avec une définition de la spatialité architecturale.
a) Une théorie de la conception architecturale ne peut faire l’économie d’une définition théorique de l’objet à concevoir, l’espace architectural. Défendre la spécificité de la conception architecturale c’est s’interroger sur l’objet à concevoir, sa nature, sa structure, en en donnant une définition théorique5.
Une théorie de la conception architecturale doit être aussi une théorie de l’objet architectural à concevoir, l’espace architectural, à réunir ensemble dans un modèle général.
Une théorie de la conception architecturale doit être aussi une théorie de l’objet architectural à concevoir, l’espace architectural, à réunir ensemble dans un modèle général.
b) L’espace architectural, posé comme structure signifiante, est donc envisagé du point de vue du sens. Cette hypothèse de l’architecture comme langage implique deux postulats : (i) l’espace n’a pas besoin d’être parlé pour signifier, il signifie directement ; (ii) l’espace signifie autre chose que lui-même, autre chose que sa matérialité physique. L’activité de l’architecte est ainsi saisie comme une activité sémiotique, productrice de significations, mais prise dans un sens large, incluant les pratiques signifiantes.
L’espace architectural, espace complexe, est défini comme une structure polysémique et polymorphique constituée de plusieurs registres de sens corrélés à divers registres d’espace.
C’est bien ce qu’A. Renier avait également postulé quand il écrivait : « une ‘sémiotique de l’espace’ ne prend son sens qu’en indiquant sur quel espace elle opère»6, c’est-à-dire en précisant sur quel registre d’espace elle porte. J’ai dégagé cinq registres d’espace corrélés à des niveaux de sens distincts, possédant, chacun, leurs propres opérateurs de conception : ils recoupent en partie les registres avancés par A. Renier et croisent également la triade d’Alberti.
- L’espace urbain concerne l’interface espace architectural/espace urbain, ou rapport architecture/ville, édifice/tissu urbain. Tout architecture est urbaine7, cet espace renvoie aux idées urbaines, aux types historiques de ville, aux sens des formes urbaines8… Il est produit par l’opération d’implantation (elle prend aussi parfois pour nom projet urbain9).
Critiquant la morphologie urbaine, discipline d’étude de la forme urbaine, qu’il traitait de fragmentalesegmentale, c’est-à-dire déduite de découpages signifiants, pertinents, issus des pratiques habitantes10. Tout en étant d’accord avec lui, on peut cependant lui objecter que les grands découpages qu’opère, en principe, la morphologie urbaine, sont aussi de nature historique, donc pertinentisés par une périodisation historique qui en est le signifié.
- L’espace d’usage porte sur les rapports entre espace et pratiques sociales. Il renvoie aux usages organisés selon des typologies distributives particulières, consacrées par le temps (par exemple pour l’habitat, rapports entre espace domestique/type de famille). Il résulte de l’opération de distribution.
C’est sur cet espace qu’A. Renier a surtout travaillé et insisté, avec ses notions de dispositifarchitectural11, de parcours syntaxique, de chaîne syntagmatique, d’opposition entre segment/fragment12… Sur ce point notre désaccord a été en partie méthodologique : Renier refusant de recourir à la notion de type et de typologie pour classifier les configurations.
- L’espace esthético-symbolique porte sur les relations entre espace et géométrie, espace et mathématiques (mesure). Il renvoie aux signifiés de la géométrie, à sa symbolique, à travers l’histoire de l’art. Il est donné par l’opération de composition.
Tout en reconnaissant son existence, Renier a délibérément ignoré cet espace pour privilégier un « Type d’espace ne relevant pas seulement de catégories géométriques (topologiques, projectives et métriques) qui se rapportent à l’organisation du solide d’englobement des lieux de la vie sociale… »13
- L’espace bioclimatique concerne les relations entre espace et ambiances (espace qualifié par des paramètres environnementaux). Il renvoie à des signifiés comme le confort, le bien-être (culturellement variables)... Il est conçu par l’opération d’installation (équipement de l’espace, mais aussi par dispositif spatial).
Sur ce registre la contribution de Renier a été fondamentale : il a été un des premiers à introduire la notion de biome14 (milieu de vie artificiel synonyme d’ambiance) et de sémiotique biomatique15 (en définissant « l’architecture comme discipline de contrôle de l’environnement naturel et de création de climats artificiels »), notions aujourd’hui en vogue avec l’émergence de la question environnementale et la notion d’ambiance dans la recherche architecturale. (Malheureusement Renier n’a pas pu vraiment travaillé sur ce registre).
- L’espace tectonico-plastique traite de l’espace sensible (visuellement saisi). Il renvoie à des significations relatives à l’histoire de l’art, et à l’histoire des styles en particulier. Il est obtenu par l’opération d’expression.
Là aussi, ce registre d’espace a été volontairement écarté de son champ d’étude car, disait-il, « L’architecture ne serait plus uniquement alors une discipline d’expression plastique…»16 (découpage physique), A. Rénier y oppose une morphologie
- L’espace urbain concerne l’interface espace architectural/espace urbain, ou rapport architecture/ville, édifice/tissu urbain. Tout architecture est urbaine7, cet espace renvoie aux idées urbaines, aux types historiques de ville, aux sens des formes urbaines8… Il est produit par l’opération d’implantation (elle prend aussi parfois pour nom projet urbain9).
Critiquant la morphologie urbaine, discipline d’étude de la forme urbaine, qu’il traitait de fragmentalesegmentale, c’est-à-dire déduite de découpages signifiants, pertinents, issus des pratiques habitantes10. Tout en étant d’accord avec lui, on peut cependant lui objecter que les grands découpages qu’opère, en principe, la morphologie urbaine, sont aussi de nature historique, donc pertinentisés par une périodisation historique qui en est le signifié.
- L’espace d’usage porte sur les rapports entre espace et pratiques sociales. Il renvoie aux usages organisés selon des typologies distributives particulières, consacrées par le temps (par exemple pour l’habitat, rapports entre espace domestique/type de famille). Il résulte de l’opération de distribution.
C’est sur cet espace qu’A. Renier a surtout travaillé et insisté, avec ses notions de dispositifarchitectural11, de parcours syntaxique, de chaîne syntagmatique, d’opposition entre segment/fragment12… Sur ce point notre désaccord a été en partie méthodologique : Renier refusant de recourir à la notion de type et de typologie pour classifier les configurations.
- L’espace esthético-symbolique porte sur les relations entre espace et géométrie, espace et mathématiques (mesure). Il renvoie aux signifiés de la géométrie, à sa symbolique, à travers l’histoire de l’art. Il est donné par l’opération de composition.
Tout en reconnaissant son existence, Renier a délibérément ignoré cet espace pour privilégier un « Type d’espace ne relevant pas seulement de catégories géométriques (topologiques, projectives et métriques) qui se rapportent à l’organisation du solide d’englobement des lieux de la vie sociale… »13
- L’espace bioclimatique concerne les relations entre espace et ambiances (espace qualifié par des paramètres environnementaux). Il renvoie à des signifiés comme le confort, le bien-être (culturellement variables)... Il est conçu par l’opération d’installation (équipement de l’espace, mais aussi par dispositif spatial).
Sur ce registre la contribution de Renier a été fondamentale : il a été un des premiers à introduire la notion de biome14 (milieu de vie artificiel synonyme d’ambiance) et de sémiotique biomatique15 (en définissant « l’architecture comme discipline de contrôle de l’environnement naturel et de création de climats artificiels »), notions aujourd’hui en vogue avec l’émergence de la question environnementale et la notion d’ambiance dans la recherche architecturale. (Malheureusement Renier n’a pas pu vraiment travaillé sur ce registre).
- L’espace tectonico-plastique traite de l’espace sensible (visuellement saisi). Il renvoie à des significations relatives à l’histoire de l’art, et à l’histoire des styles en particulier. Il est obtenu par l’opération d’expression.
Là aussi, ce registre d’espace a été volontairement écarté de son champ d’étude car, disait-il, « L’architecture ne serait plus uniquement alors une discipline d’expression plastique…»16 (découpage physique), A. Rénier y oppose une morphologie
Dans cette définition de la spatialité comme espace complexe, l’ordre de présentation de ces différents registres n’est en aucune façon une hiérarchie (comme chez Alberti où le voluptas domine les deux autres, commoditas et necessitas). Chaque registre est constitué d’un plan de l’expression et d’un plan du contenu, ils sont interdépendants entre eux et font système : on parlera de formes locales pour les registres d’espace et de forme globale pour leurs interrelations.
Par rapport à Alberti, et à sa triade, mes registres d’espace d’usage et d’espace bioclimatique rejoignent sa notion de commoditas, ceux d’espace esthético-symbolique et d’espace tectonico-plastique recoupent celle de voluptas, quant à l’espace urbain, isolé ici comme registre autonome, il est présent dans tout le traité d’Alberti. J’exclus cependant, dans mon approche, son registre de la necessitas qui porte sur la construction et les matériaux : il concerne des phénomènes d’ordre naturel qui relèvent, selon moi, d’une logique technique et non sémiotique (analogie avec la distinction phonétique/phonologie).
En s’éloignant d’une définition de l’architecture réduite à ses registres plastique et esthétique avec laquelle il polémiquait souvent, Renier voulait surtout mettre l’accent sur l’usage et les pratiques signifiantes, non seulement sur le solide d’englobement de l’espace, comme il l’appelle, mais sur l’espace englobé : « La conception architecturale est concernée par la délimitation de l’espace résultant d’une segmentation de l’étendue, mais aussi par une qualification complémentaire de cet espace pour en constituer un lieu de vie sociale et un instrument d’usage »17 ; ainsi selon lui : « L’architecture ne serait plus uniquement alors une discipline d’expression plastique mais également une discipline du contrôle de l’environnement naturel et de la création de climats artificiels »18. Ce qu’il désigne par biome, c’est donc cet espace dont les caractéristiques physiques sont constitutives d’un milieu aérolique, thermique, phonique, lumineux… produisant, in fine, le sentiment de confort. De plus, pour lui, l’habitant, plus qu’un simple utilisateur, est aussi et toujours un acteur opérant sur l’espace19.
Par rapport à Alberti, et à sa triade, mes registres d’espace d’usage et d’espace bioclimatique rejoignent sa notion de commoditas, ceux d’espace esthético-symbolique et d’espace tectonico-plastique recoupent celle de voluptas, quant à l’espace urbain, isolé ici comme registre autonome, il est présent dans tout le traité d’Alberti. J’exclus cependant, dans mon approche, son registre de la necessitas qui porte sur la construction et les matériaux : il concerne des phénomènes d’ordre naturel qui relèvent, selon moi, d’une logique technique et non sémiotique (analogie avec la distinction phonétique/phonologie).
En s’éloignant d’une définition de l’architecture réduite à ses registres plastique et esthétique avec laquelle il polémiquait souvent, Renier voulait surtout mettre l’accent sur l’usage et les pratiques signifiantes, non seulement sur le solide d’englobement de l’espace, comme il l’appelle, mais sur l’espace englobé : « La conception architecturale est concernée par la délimitation de l’espace résultant d’une segmentation de l’étendue, mais aussi par une qualification complémentaire de cet espace pour en constituer un lieu de vie sociale et un instrument d’usage »17 ; ainsi selon lui : « L’architecture ne serait plus uniquement alors une discipline d’expression plastique mais également une discipline du contrôle de l’environnement naturel et de la création de climats artificiels »18. Ce qu’il désigne par biome, c’est donc cet espace dont les caractéristiques physiques sont constitutives d’un milieu aérolique, thermique, phonique, lumineux… produisant, in fine, le sentiment de confort. De plus, pour lui, l’habitant, plus qu’un simple utilisateur, est aussi et toujours un acteur opérant sur l’espace19.
Troisième contribution à la théorie de la conception architecturale : la saisie de l’objet architectural par sa génération, c’est-à-dire par son mode de production. Elle s’oppose à la fois, comme on l’a dit, à une approche purement taxinomique (réduction à un système), mais aussi à une approche de type génétique (démarche historique).
Par générativité nous entendons donc une approche théorique, achronique, du procès de production du projet. Ce n’est pas l’histoire de la création du projet qui est recherchée, ni le temps pris ou mis pour sa conception, ni une explication de sa réalisation par ses conditions externes, ou par la prise en compte des relations de l’architecte avec les autres acteurs – considérations habituellement retenues dans une démarche historique d’étude du projet –, ni une histoire (idéologique) du discours architectural envisagée comme une marche vers le progrès, c’est plutôt l’organisation logique de l’espace qui est visée : une grammaire générative de l’espace.
Sur cette démarche générative, l’effort conceptuel d’A. Renier a été constant : dès 1982 son texte d’introduction au colloque d’Albi, « Espace, représentation et sémiotique de l’architecture », l’illustre : il y propose une interprétation du parcours génératif de la signification20, où sont distingués les différents niveaux, fondamental/ narratif/discursif, du plan du contenu, qui, en se joignant au plan de l’expression (textualisation), donne naissance au plan de la manifestation architecturale.
Tout en étant attentif également à ses niveaux de profondeur, j’ai essayé, de mon côté, de construire cette grammaire à travers trois procédures principales qui rendent compte, sur chaque registre, de cette générativité.
a/ La combinatoire, ou passage du simple au complexe : par exemple, la double articulation du langage architectural sur le registre de l’espace plastique que j’ai esquissée, en éléments architecturaux / segments tectoniques / traits distinctifs plastiques ; ou chez Durand21 également qui a mis en évidence cette articulation sur le registre de la composition en ‘‘nombre et situation des parties principales / nombre et situation des parties secondaires / tracés des murs et placement des colonnes’’.
b/ La conversion, ou passage du général au particulier, des structures virtuelles aux structures réelles : par exemple l’actualisation d’un idéaltype distributif général en un type distributif spécifique, une occurrence historique particulière, sur le registre de l’espace d’usage. J’ai essayé de reconstituer ces structures virtuelles dans le cas de l’espace cultuel où j’ai dégagé trois grandes structures générales invariantes (1. trois espaces élémentaires, 2. une double séquence narrative, 3. un parcours narratif). Elles constituent, selon mon hypothèse, l’idéaltype que l’on retrouve appliqué sous des modalités particulières (par conversion) dans tous les lieux de culte, de toutes les religions, comme occurrences historiques22.
c/ L’iconisation, ou passage de l’abstrait au concret, par spécification et enrichissement sémantique graduel de l’espace, allant vers plus de précision et de définition de sa forme : le dessin architectural, par exemple, avec ses spécifications progressives, ses sauts d’échelle, allant de l’esquisse aux plans de détail… rend compte de cette procédure d’iconisation dans la représentation, sur l’ensemble des registres.
Ce sont ces procédures, encore à développer, qui structurent la générativité des registres, que j’ai essayé de mettre à jour dans ma recherche sur la conception architecturale : elles traduisent l’idée de générativité de la spatialité liée au concept de parcours génératif du projet23.
Par générativité nous entendons donc une approche théorique, achronique, du procès de production du projet. Ce n’est pas l’histoire de la création du projet qui est recherchée, ni le temps pris ou mis pour sa conception, ni une explication de sa réalisation par ses conditions externes, ou par la prise en compte des relations de l’architecte avec les autres acteurs – considérations habituellement retenues dans une démarche historique d’étude du projet –, ni une histoire (idéologique) du discours architectural envisagée comme une marche vers le progrès, c’est plutôt l’organisation logique de l’espace qui est visée : une grammaire générative de l’espace.
Sur cette démarche générative, l’effort conceptuel d’A. Renier a été constant : dès 1982 son texte d’introduction au colloque d’Albi, « Espace, représentation et sémiotique de l’architecture », l’illustre : il y propose une interprétation du parcours génératif de la signification20, où sont distingués les différents niveaux, fondamental/ narratif/discursif, du plan du contenu, qui, en se joignant au plan de l’expression (textualisation), donne naissance au plan de la manifestation architecturale.
Tout en étant attentif également à ses niveaux de profondeur, j’ai essayé, de mon côté, de construire cette grammaire à travers trois procédures principales qui rendent compte, sur chaque registre, de cette générativité.
a/ La combinatoire, ou passage du simple au complexe : par exemple, la double articulation du langage architectural sur le registre de l’espace plastique que j’ai esquissée, en éléments architecturaux / segments tectoniques / traits distinctifs plastiques ; ou chez Durand21 également qui a mis en évidence cette articulation sur le registre de la composition en ‘‘nombre et situation des parties principales / nombre et situation des parties secondaires / tracés des murs et placement des colonnes’’.
b/ La conversion, ou passage du général au particulier, des structures virtuelles aux structures réelles : par exemple l’actualisation d’un idéaltype distributif général en un type distributif spécifique, une occurrence historique particulière, sur le registre de l’espace d’usage. J’ai essayé de reconstituer ces structures virtuelles dans le cas de l’espace cultuel où j’ai dégagé trois grandes structures générales invariantes (1. trois espaces élémentaires, 2. une double séquence narrative, 3. un parcours narratif). Elles constituent, selon mon hypothèse, l’idéaltype que l’on retrouve appliqué sous des modalités particulières (par conversion) dans tous les lieux de culte, de toutes les religions, comme occurrences historiques22.
c/ L’iconisation, ou passage de l’abstrait au concret, par spécification et enrichissement sémantique graduel de l’espace, allant vers plus de précision et de définition de sa forme : le dessin architectural, par exemple, avec ses spécifications progressives, ses sauts d’échelle, allant de l’esquisse aux plans de détail… rend compte de cette procédure d’iconisation dans la représentation, sur l’ensemble des registres.
Ce sont ces procédures, encore à développer, qui structurent la générativité des registres, que j’ai essayé de mettre à jour dans ma recherche sur la conception architecturale : elles traduisent l’idée de générativité de la spatialité liée au concept de parcours génératif du projet23.
Cette dernière contribution concerne la problématique de la synthèse des registres qui constitue le projet comme forme globale et la compréhension de ce mécanisme syncrétique. Une fois l’inventaire des registres établi, se pose en effet le problème de leur synthèse et de ses modalités. C’est ce qu’avait également bien perçu A. Renier quand il écrivait : « Une sémiotique de l’architecture est le lieu d’un syncrétisme de sémiotiques externes différentiées (visuelles, plastiques, scénographique, sonore, etc.) »24 , ou encore « Une sémiotique du dispositif architectural ‘construit’ résulte du syncrétisme d’une sémiotique plastique et d’une sémiotique biomatique»25, réduisant cette synthèse à deux registres principaux.
Limitation des registres de la forme architecturale, mais aussi absence d’explicitation des modalités de réalisation de ce syncrétisme, telles sont les remarques que l’on peut faire à Renier sur cette question. J’ai tenté d’y répondre en prenant en compte, d’une part, l’ensemble des registres, et en introduisant, d’autre part, la notion de méta-opérateurs référentiels de synthèse, pour expliquer ce processus syncrétique.
Limitation des registres de la forme architecturale, mais aussi absence d’explicitation des modalités de réalisation de ce syncrétisme, telles sont les remarques que l’on peut faire à Renier sur cette question. J’ai tenté d’y répondre en prenant en compte, d’une part, l’ensemble des registres, et en introduisant, d’autre part, la notion de méta-opérateurs référentiels de synthèse, pour expliquer ce processus syncrétique.
Avec ces méta-opérateurs, c’est la problématique de la référentialisation dans le projet qui est posée, le rôle de la référence dans la conception architecturale comme principe fédérateur et unificateur : ils interviennent comme des isotopies architecturales structurant et unifiant la forme globale. Ces méta-opérateurs sont principalement de deux ordres, ils ont une double origine. Ils sont choisis :
- soit dans le champ référentiel de l’histoire de l’architecture, dans le stock de ses modèles historiques : on les appelle parti, motif, configuration… ;
- soit hors du champ référentiel de l’histoire de l’architecture, dans l’univers de la nature, des arts, de l’industrie, du machinisme… : ce méta-opérateur, plus actuel, plus contemporain, est dénommé concept26.
L’usage du terme concept, aujourd’hui en vogue, très utilisé dans le milieu des architectes, a souvent pour finalité une volonté d’innovation et de rupture avec les motifs existants de l’architecture, pour en créer de nouveaux. Le Corbusier, par exemple, en rompant avec les motifs et les partis de l’architecture académique, inventa, en recourant aux concepts de /machine/ et d’/art moderne/, un nouveau langage architectural : les ‘Cinq points de l’architecture moderne’. Deux autres positions sont à signaler : le refus de la référence et la synthèse impossible.
a) On trouve, chez certains architectes, le refus de toute référence (dans le champ ou hors du champ de l’architecture) avec la quête d’une essence de l’architecture en elle-même (autoréférence), la géométrie par exemple : c’est la position d’Eisenman qui cherche, avec le rejet de toute référence, une architecture, dit-il, auto-référentielle, de non-signification. On peut cependant considérer qu’il s’agit, là encore, d’un cas limite d’utilisation d’un concept : /géométrie pure/, /non référence/.
b) Pour d’autres architectes, la synthèse des registres est considérée aujourd’hui comme impossible à effectuer, irréalisable car les registres sont trop contradictoires, hétéroclites, incompatibles entre eux : leurs logiques inconciliables rendent impossible toute unité, toute synthèse. Le projet doit alors, selon eux, refléter cet éclatement, traduire cette dissociation des registres, et la révéler en la rendant visible, car elle correspond à l’éclatement de notre monde contemporain à ne pas cacher : c’est la position d’architectes déconstructivistes comme B. Tschumi, par exemple. Mais, là aussi, on peut y voir le recours à un autre concept : la /société éclatée/, le /monde fragmenté/.
a) On trouve, chez certains architectes, le refus de toute référence (dans le champ ou hors du champ de l’architecture) avec la quête d’une essence de l’architecture en elle-même (autoréférence), la géométrie par exemple : c’est la position d’Eisenman qui cherche, avec le rejet de toute référence, une architecture, dit-il, auto-référentielle, de non-signification. On peut cependant considérer qu’il s’agit, là encore, d’un cas limite d’utilisation d’un concept : /géométrie pure/, /non référence/.
b) Pour d’autres architectes, la synthèse des registres est considérée aujourd’hui comme impossible à effectuer, irréalisable car les registres sont trop contradictoires, hétéroclites, incompatibles entre eux : leurs logiques inconciliables rendent impossible toute unité, toute synthèse. Le projet doit alors, selon eux, refléter cet éclatement, traduire cette dissociation des registres, et la révéler en la rendant visible, car elle correspond à l’éclatement de notre monde contemporain à ne pas cacher : c’est la position d’architectes déconstructivistes comme B. Tschumi, par exemple. Mais, là aussi, on peut y voir le recours à un autre concept : la /société éclatée/, le /monde fragmenté/.
Ces méta-opérateurs de synthèse peuvent être d’ordre général, c’est-à-dire relatif à un courant architectural qu’ils contribuent à définir, et/ou spécifiques à un projet particulier. Plusieurs méta-opérateurs peuvent être mobilisés dans un même projet, de même les deux modalités (parti et concept) peuvent être aussi utilisées pour un même projet27... Fonctionnant comme des isotopiesarchitecturales, ils visent à créer, avec les registres sélectionnés, une unité de sens, pour réaliser la cohérence sémantique du projet, la cohérence de la forme architecturale globale. On peut avoir aussi une pluri-isotopie (superposition d’isotopies différentes qui exige alors des connecteurs...). D’une manière générale, elles agissent par itérativité, par récurrence sémantique, sur tous les registres : un même contenu, un même thème, une même idée (parti ou concept) ‘traverse’ l’ensemble des registres en se déclinant chaque fois de façon différente pour produire et renforcer l’effet de sens unitaire global recherché, sur le plan de l’expression comme sur celui du contenu de chaque registre. Ils agissent donc transversalement aux registres pour les fusionner (sémantiquement), par répétition d’un même contenu, produisant la cohérence (sémantique) recherchée de l’oeuvre. Ils interviennent aussi bien dans l’organisation du plan (distribution et composition), qu’en élévation, pour l’ordonnancement de la façade (expression et composition). Cette notion et ce mécanisme isotopique esquissés ici restent encore à être approfondis.
Ainsi Alberti, par exemple, mobilise pour la synthèse spatiale de son architecture deux isotopies employées comme méta-opérateurs référentiels de son architecture : un concept, puisé hors du champ de l’architecture /l’édifice-corps/, et un motif, puisé dans le champ de l’histoire de l’architecture, dans l’Antiquité, /les ordres classiques/. Ils sont tous deux relatifs à la culture et à l’idéologie de la Renaissance. Ces deux isotopies traversent les trois registres : necessitas (analogie entre édifice et anatomie du corps humain), commoditas (métaphore du fonctionnement biologique de l’édifice), voluptas (harmonie et perfection des proportions idéales du corps humain –mais aussi du corps animal, le cheval- comme modèle de mesure pour l’édifice pour définir sa beauté). Outre ces deux isotopies générales, ces deux méta-opérateurs généraux, Alberti emprunte également, pour des projets particuliers, d’autres motifs de l’architecture antique : le motif /arc de triomphe/ pour ses églises (temple de Malatesta à Rimini ; Sant’Andrea à Mantoue), le motif du Colisée /superposition arcade + ordre / pour son palais Rucellai à Florence...
Ainsi Alberti, par exemple, mobilise pour la synthèse spatiale de son architecture deux isotopies employées comme méta-opérateurs référentiels de son architecture : un concept, puisé hors du champ de l’architecture /l’édifice-corps/, et un motif, puisé dans le champ de l’histoire de l’architecture, dans l’Antiquité, /les ordres classiques/. Ils sont tous deux relatifs à la culture et à l’idéologie de la Renaissance. Ces deux isotopies traversent les trois registres : necessitas (analogie entre édifice et anatomie du corps humain), commoditas (métaphore du fonctionnement biologique de l’édifice), voluptas (harmonie et perfection des proportions idéales du corps humain –mais aussi du corps animal, le cheval- comme modèle de mesure pour l’édifice pour définir sa beauté). Outre ces deux isotopies générales, ces deux méta-opérateurs généraux, Alberti emprunte également, pour des projets particuliers, d’autres motifs de l’architecture antique : le motif /arc de triomphe/ pour ses églises (temple de Malatesta à Rimini ; Sant’Andrea à Mantoue), le motif du Colisée /superposition arcade + ordre / pour son palais Rucellai à Florence...
Telles sont quelques-unes des contributions possibles de la sémiotique à une théorie de la conception architecturale, rapidement exposées, et tirées de mon expérience personnelle de recherche. On voit ce qu’elles doivent à A. Renier, avec qui j’ai longtemps collaboré, à travers les convergences et les divergences signalées de nos travaux respectifs.