السبت، 5 مارس 2011

Albert LEVY

Albert LEVY

Biographie

Albert LEVY, diplômé d’Architecture, docteur en Etudes Urbaines, chercheur CNRS, Laboratoire Théorie des Mutations Urbaines UMR/CNRS 7136, Institut Français d’Urbanisme, Université Paris VIII : travaille sur la morphologie urbaine, le projet urbain, la conception architecturale, a enseigné à l’Ecole d’Architecture de l’Université de Genève, à l’Ecole d’Architecture Paris-la–Villette et à l’Institut Français d’Urbanisme.

Quelques publications en rapport avec la sémiotique :
LEVY A. (1994) "Purisme versus brutalisme : le fonctionnement du discours plastique chez Le Corbusier", in PELLEGRINO, P. (ed.) Figures architecturales et formes urbaines. Paris, Anthropos, pp. 469-492
LEVY A. (1996) "Pour une socio-sémiotique de l'espace. Problématique et orientations de recherche", in OSTROWETSKY, S. (ed.) Sociologues en ville. Paris, l'Harmattan, pp. 161-177.
LEVY A. (1996) "Les déménagements de Colette : mobilité résidentielle et mobilité sociale. Analyse socio-sémiotique d'un itinéraire résidentiel", in WITTNER, L., WELZER, L. (eds.) Les faits du logis. (Actes du colloque, CREA/Lyon 2 ASTER/ANTPE, Lyon, 1991) Paris, Aléas, pp. 203-226.
LEVY A. (1997) "A semiotic modelization of the architectural conception", in RAUCH, I., CARR, G. (eds.) Semiotics around the World : Synthesis in Diversity. (Proceedings of the Fifth Congress of the International Association for Semiotic Studies, Berkeley, 1994) Berlin/New York, Mouton de Gruyter, pp. 545-548.
LEVY A. (1998) "E.L. Boullée et l'architecture parlante" : une sémiotique de l'expression architecturale", in The Man and the City, Spaces, Forms, Meanings. Russia, Ekaterinburg, Architecton Publishing House, pp. 201-221 LEVY A. (1998) "Luis Prieto, Claude Lévi-Strauss, and the lessons of phonology", Semiotica 122-3/4, pp. 233-240.
LEVY A. (1999) "Le chalet, lieu de mémoire helvétique", in DESARNAULDS, S. (ed.) Le chalet dans tous ses états. La construction de l'imaginaire helvétique. Genève, Georg éditions Chénoises, pp. 85-121.
LEVY A. (2000) "Le parti architectural comme opérateur syncrétique du projet", in PELLEGRINO, P. (ed.) L'espace dans l'image et dans le texte. (Actes du colloque de l'Association de sémiotique de l'Espace, Urbino,1998), Quatroventi, Urbino, Université d'Urbino, pp. 115-131.
LEVY A. (2003) Les Machines à faire croire.  1 Formes et fonctionnements de la spatialité religieuse, Paris, Economica/Anthropos, 245 p ; Les machines à faire croire. II Pouvoir de l’espace pouvoir de l’image. La Madeleine et le Panthéon, Paris Economica/Anthropos (à paraître 2008).
LEVY A. (2005) "Formes urbaines et significations. Revisiter la morphologie urbaine", Espaces et Sociétés, Le sens des formes urbaines, 122, pp. 25-48.
LEVY A. (2006) " Un lieu médium : l’église de la Madeleine ", Medium, Paris, Editions Babylone pp. 53-69
LEVY A. (2007) "Le paysage architectural chez E. L. Boullée, ou l'architecture comme allégorie de la nature", in SANSON, P. (éd.) Le paysage urbain, représentation, signification, communication. (Actes du colloque de Blois, 1999) Paris, l'Harmattan.

Sommaire :

Texte intégral :

La sémiotique de l’architecture s’est développée dès la fin des années 60 avec l’essor de la théorie sémiotique générale1. Ses apports ont été nombreux et divers, dans des multiples directions et des applications variées. L’objectif ici n’est pas de retracer l’histoire de cette rencontre, mais de présenter, à partir de mon expérience personnelle, une contribution de cette discipline à l’étude du projet architectural, en rappelant certains points de la recherche d’Alain Renier dans ce domaine -dont il fut, on le sait, un des plus ardents défenseurs- en me situant également par rapport à son travail.
La première contribution concerne l’étude de la conception architecturale : elle est de nature méthodologique. Prendre le projet comme objet d’étude du point de vue sémiotique c’est expliciter sa conception, théoriser son mode de production du point de vue du sens, pour faire de chaque projet un cas particulier –une occurrence singulière– produit d’un modèle général, qui reste à construire. On pourrait dire, mutatis mutandis, en prenant l’exemple de la linguistique, que la conception est au projet ce que la langue est à la parole (F. de Saussure). La dichotomie conception / projet reprend donc les couples classiques de la théorie du langage, langue / discours, énonciation / énoncé (Benveniste), compétence / performance (Greimas), schéma / usage (Hjelmslev)…, pour bien signifier que seule la conception, à travers le projet, peut être l’objet d’une investigation scientifique.
Une telle approche, qui se situe dans une perspective structurale, ne doit cependant pas réduire la conception à une vision strictement paradigmatique en limitant la théorie à un pur système, mais doit inclure également le procès (l’axe syntagmatique). S’interroger alors sur la conception comme procès de synthèse qui produit le projet, c’est  répondre à une double question : synthèse de quoi, synthèse comment ? Résoudre ces questions c’est construire le modèle de conception et les chercheurs vont diverger sur les réponses à y apporter. Mon approche de la conception, tout en présentant des convergences avec celle de Renier, va diverger avec les siennes sur certains points que nous allons examiner.
La deuxième contribution de la sémiotique est un apport à la théorie de la spatialité. On sait que cette théorie fait cruellement défaut aussi bien chez les géographes que chez les architectes même2, sans parler des spécialistes en sciences sociales qui travaillent sur les rapports entre espaces et sociétés (sociologie urbaine), ou sur la nouvelle notion d’ambiance par exemple (souvent opposée à espace3).
D’une part, l’objet-espace peut être défini de plusieurs points de vue (géométrique, psycho-physiologique, socio-culturel…), d’autre part, il importe de reprendre la réflexion sur la complexité de l’espace architectural dans l’histoire de l’architecture, initiée par Vitruve (soliditas, utilitas, venustas) et développée par Alberti (necessitas, commoditas, voluptas), en nous resituant ainsi dans la tradition des traités d’architecture4. Mon approche d’une modélisation de la conception architecturale est basée sur deux hypothèses, en rapport avec une définition de la spatialité architecturale.
a) Une théorie de la conception architecturale ne peut faire l’économie d’une définition théorique de l’objet à concevoir, l’espace architectural. Défendre la spécificité de la conception architecturale c’est s’interroger sur l’objet à concevoir, sa nature, sa structure, en en donnant une définition théorique5.
Une théorie de la conception architecturale doit être aussi une théorie de l’objet architectural à concevoir, l’espace architectural,  à réunir ensemble  dans un modèle général.
b) L’espace architectural, posé comme structure signifiante, est donc envisagé du point de vue du sens. Cette hypothèse de l’architecture comme langage implique deux postulats : (i) l’espace n’a pas besoin d’être parlé pour signifier, il signifie directement ; (ii) l’espace signifie autre chose que lui-même, autre chose que sa matérialité physique. L’activité de l’architecte est ainsi saisie comme une activité sémiotique, productrice de significations, mais prise dans un sens large, incluant les pratiques signifiantes.
L’espace architectural, espace complexe, est défini comme une structure polysémique et polymorphique constituée de plusieurs  registres de sens corrélés à divers  registres d’espace.
C’est bien ce qu’A. Renier avait également postulé quand il écrivait : « une ‘sémiotique de l’espace’ ne prend son sens qu’en indiquant sur quel espace elle opère»6, c’est-à-dire en précisant sur quel registre d’espace elle porte. J’ai dégagé cinq registres d’espace corrélés à des niveaux de sens distincts, possédant, chacun, leurs propres opérateurs de conception : ils recoupent en partie les registres avancés par A. Renier et croisent également la triade d’Alberti.
- L’espace urbain concerne l’interface espace architectural/espace urbain, ou rapport architecture/ville, édifice/tissu urbain. Tout architecture est urbaine7, cet espace renvoie aux idées urbaines, aux types historiques de ville, aux sens des formes urbaines8… Il est produit par l’opération d’implantation (elle prend aussi parfois pour nom projet urbain9).
Critiquant la morphologie urbaine, discipline d’étude de la forme urbaine, qu’il traitait de fragmentalesegmentale, c’est-à-dire déduite de découpages signifiants, pertinents, issus des pratiques habitantes10. Tout en étant d’accord avec lui, on peut cependant lui objecter que les grands découpages qu’opère, en principe, la morphologie urbaine, sont aussi de nature historique, donc pertinentisés par une périodisation historique qui en est le signifié.
- L’espace d’usage porte sur les rapports entre espace et pratiques sociales. Il renvoie aux usages organisés selon des typologies distributives particulières, consacrées par le temps (par exemple pour l’habitat, rapports entre espace domestique/type de famille). Il résulte de l’opération de distribution.
C’est sur cet espace qu’A. Renier a surtout travaillé et insisté, avec ses notions de dispositifarchitectural11, de parcours syntaxique, de chaîne syntagmatique, d’opposition entre segment/fragment12… Sur ce point notre désaccord a été en partie méthodologique : Renier refusant de recourir à la notion de type et de typologie pour classifier les configurations.
- L’espace esthético-symbolique porte sur les relations entre espace et géométrie, espace et mathématiques (mesure). Il renvoie aux signifiés de la géométrie, à sa symbolique, à travers l’histoire de l’art. Il est donné par l’opération de composition.
Tout en reconnaissant son existence, Renier a délibérément ignoré cet espace pour privilégier un « Type d’espace ne relevant pas seulement de catégories géométriques (topologiques, projectives et métriques) qui se rapportent à l’organisation du solide d’englobement des lieux de la vie sociale… »13
- L’espace bioclimatique concerne les relations entre espace et ambiances (espace qualifié par des paramètres environnementaux). Il renvoie à des signifiés comme le confort, le bien-être (culturellement variables)... Il est conçu par l’opération d’installation (équipement de l’espace, mais aussi par dispositif spatial).
Sur ce registre la contribution de Renier a été fondamentale : il a été un des premiers à introduire la notion de biome14 (milieu de vie artificiel synonyme d’ambiance) et de sémiotique biomatique15 (en définissant « l’architecture comme discipline de contrôle de l’environnement naturel et de création de climats artificiels »), notions aujourd’hui en vogue avec l’émergence de la question environnementale et la notion d’ambiance dans la recherche architecturale. (Malheureusement Renier n’a pas pu vraiment travaillé sur ce registre).
- L’espace tectonico-plastique traite de l’espace sensible (visuellement saisi). Il renvoie à des significations relatives à l’histoire de l’art, et à l’histoire des styles en particulier. Il est obtenu par l’opération d’expression.
Là aussi, ce registre d’espace a été volontairement écarté de son champ d’étude car, disait-il, « L’architecture ne serait plus uniquement alors une discipline d’expression plastique…»16
(découpage physique), A. Rénier y oppose une morphologie
Dans cette définition de la spatialité comme espace complexe, l’ordre de présentation de ces différents registres n’est en aucune façon une hiérarchie (comme chez Alberti où le voluptas domine les deux autres, commoditas et necessitas). Chaque registre est constitué d’un plan de l’expression et d’un plan du contenu, ils sont interdépendants entre eux et font système : on parlera de formes locales pour les registres d’espace et de forme globale pour leurs interrelations.
Par rapport à Alberti, et à sa triade, mes registres d’espace d’usage et d’espace bioclimatique rejoignent sa notion de commoditas, ceux d’espace esthético-symbolique et d’espace tectonico-plastique recoupent celle de voluptas, quant à l’espace urbain, isolé ici comme registre autonome, il est présent dans tout le traité d’Alberti. J’exclus cependant, dans mon approche, son registre de la necessitas qui porte sur la construction et les matériaux : il concerne des phénomènes d’ordre naturel qui relèvent, selon moi, d’une logique technique et non sémiotique (analogie avec la distinction phonétique/phonologie).
En s’éloignant d’une définition de l’architecture réduite à ses registres plastique et esthétique avec laquelle il polémiquait souvent, Renier voulait surtout mettre l’accent sur l’usage et les pratiques signifiantes, non seulement sur le solide d’englobement de l’espace, comme il l’appelle, mais sur l’espace englobé : « La conception architecturale est concernée par la délimitation de l’espace résultant d’une segmentation de l’étendue, mais aussi par une qualification complémentaire de cet espace pour en constituer un lieu de vie sociale et un instrument d’usage »17 ; ainsi selon lui : « L’architecture ne serait plus uniquement alors une discipline d’expression plastique mais également une discipline du contrôle de l’environnement naturel et de la création de climats artificiels »18. Ce qu’il désigne par biome, c’est donc cet espace dont les caractéristiques physiques sont constitutives d’un milieu aérolique, thermique, phonique, lumineux… produisant, in fine, le sentiment de confort. De plus, pour lui, l’habitant, plus qu’un simple utilisateur, est aussi et toujours un acteur opérant sur l’espace19.
Troisième contribution à la théorie de la conception architecturale : la saisie de l’objet architectural par sa génération, c’est-à-dire par son mode de production. Elle s’oppose à la fois, comme on l’a dit, à une approche purement taxinomique (réduction à un système), mais aussi à une approche de type génétique (démarche historique).
Par générativité nous entendons donc une approche théorique, achronique, du procès de production du projet. Ce n’est pas l’histoire de la création du projet qui est recherchée, ni le temps pris ou mis pour sa conception, ni une explication de sa réalisation par ses conditions externes, ou par la prise en compte des relations de l’architecte avec les autres acteurs – considérations habituellement retenues dans une démarche historique d’étude du projet –, ni une histoire (idéologique) du discours architectural envisagée comme une marche vers le progrès, c’est plutôt l’organisation logique de l’espace qui est visée : une grammaire générative de l’espace.
Sur cette démarche générative, l’effort conceptuel d’A. Renier a été constant : dès 1982 son texte d’introduction au colloque d’Albi, « Espace, représentation et sémiotique de l’architecture », l’illustre : il y propose une interprétation du parcours génératif de la signification20, où sont distingués les différents niveaux, fondamental/ narratif/discursif, du plan du contenu, qui, en se joignant au plan de l’expression (textualisation), donne naissance au plan de la manifestation architecturale.
Tout en étant attentif également à ses niveaux de profondeur, j’ai essayé, de mon côté, de construire cette grammaire à travers trois procédures principales qui rendent compte, sur chaque registre, de cette générativité.
a/ La combinatoire, ou passage du simple au complexe : par exemple, la double articulation du langage architectural sur le registre de l’espace plastique que j’ai esquissée, en éléments architecturaux / segments tectoniques / traits distinctifs plastiques ; ou chez Durand21 également qui a mis en évidence cette articulation sur le registre de la composition en ‘‘nombre et situation des parties principales / nombre et situation des parties secondaires / tracés des murs et placement des colonnes’’.
b/ La conversion, ou passage du général au particulier, des structures virtuelles aux structures réelles : par exemple l’actualisation d’un idéaltype distributif général en un type distributif spécifique, une occurrence historique particulière, sur le registre de l’espace d’usage. J’ai essayé de reconstituer ces structures virtuelles dans le cas de l’espace cultuel où j’ai dégagé trois grandes structures générales invariantes  (1. trois espaces élémentaires, 2. une double séquence narrative, 3. un parcours narratif). Elles constituent, selon mon hypothèse, l’idéaltype que l’on retrouve appliqué sous des modalités particulières (par conversion) dans tous les lieux de culte, de toutes les religions, comme occurrences historiques22.
c/ L’iconisation, ou passage de l’abstrait au concret, par spécification et enrichissement sémantique graduel de l’espace, allant vers plus de précision et de définition de sa forme : le dessin architectural, par exemple, avec ses spécifications progressives, ses sauts d’échelle, allant de l’esquisse aux plans de détail… rend compte de cette procédure d’iconisation dans la représentation, sur l’ensemble des registres.
Ce sont ces procédures, encore à développer, qui structurent la générativité des registres, que j’ai essayé de mettre à jour dans ma recherche sur la conception architecturale : elles traduisent l’idée de générativité de la spatialité liée au concept de parcours génératif du projet23.  
Cette dernière contribution concerne la problématique de la synthèse des registres qui constitue le projet comme forme globale et la compréhension de ce mécanisme syncrétique. Une fois l’inventaire des registres établi, se pose en effet le problème de leur synthèse et de ses modalités. C’est ce qu’avait également bien perçu A. Renier quand il écrivait : « Une sémiotique de l’architecture est le lieu d’un syncrétisme de sémiotiques externes différentiées (visuelles, plastiques, scénographique, sonore, etc.) »24 , ou encore « Une sémiotique du dispositif architectural ‘construit’ résulte du syncrétisme d’une sémiotique plastique et d’une sémiotique biomatique»25, réduisant cette synthèse à deux registres principaux.
Limitation des registres de la forme architecturale, mais aussi absence d’explicitation des modalités de réalisation de ce syncrétisme, telles sont les remarques que l’on peut faire à Renier sur cette question. J’ai tenté d’y répondre en prenant en compte, d’une part, l’ensemble des registres, et en introduisant, d’autre part, la notion de méta-opérateurs référentiels de synthèse, pour expliquer ce processus syncrétique.
Avec ces méta-opérateurs, c’est la problématique de la référentialisation dans le projet qui est posée, le rôle de la référence dans la conception architecturale comme principe fédérateur et unificateur : ils interviennent comme des isotopies architecturales structurant et unifiant la forme globale. Ces méta-opérateurs sont principalement de deux ordres, ils ont une double origine. Ils sont choisis :
  • soit dans le champ référentiel de l’histoire de l’architecture, dans le stock de ses modèles historiques : on les appelle parti, motif, configuration… ;
  • soit hors du champ référentiel de l’histoire de l’architecture, dans l’univers de la nature, des arts, de l’industrie, du machinisme… : ce méta-opérateur, plus actuel, plus contemporain, est dénommé concept26.
L’usage du terme concept, aujourd’hui en vogue, très utilisé dans le milieu des architectes, a souvent pour finalité une volonté d’innovation et de rupture avec les motifs existants de l’architecture, pour en créer de nouveaux. Le Corbusier, par exemple, en rompant avec les motifs et les partis de l’architecture académique, inventa, en recourant aux concepts de /machine/ et d’/art moderne/, un nouveau langage architectural : les ‘Cinq points de l’architecture moderne’. Deux autres positions sont à signaler : le refus de la référence et la synthèse impossible.
a) On trouve, chez certains architectes, le refus de toute référence (dans le champ ou hors du champ de l’architecture) avec la quête d’une essence de l’architecture en elle-même (autoréférence), la géométrie par exemple : c’est la position d’Eisenman qui cherche, avec le rejet de toute référence, une architecture, dit-il,  auto-référentielle, de non-signification. On peut cependant considérer qu’il s’agit, là encore, d’un cas limite d’utilisation d’un concept : /géométrie pure/, /non référence/.
b) Pour d’autres architectes, la synthèse des registres est considérée aujourd’hui comme impossible à effectuer, irréalisable car les registres sont trop contradictoires, hétéroclites, incompatibles entre eux : leurs logiques inconciliables rendent impossible toute unité, toute synthèse. Le projet doit alors, selon eux, refléter cet éclatement, traduire cette dissociation des registres, et la révéler en la rendant visible, car elle correspond à l’éclatement de notre monde contemporain à ne pas cacher : c’est la position d’architectes déconstructivistes comme B. Tschumi, par exemple. Mais, là aussi, on peut y voir le recours à un autre concept : la /société éclatée/, le /monde fragmenté/.
Ces méta-opérateurs de synthèse peuvent être d’ordre général, c’est-à-dire relatif à un courant architectural qu’ils contribuent à définir, et/ou spécifiques à un projet particulier. Plusieurs méta-opérateurs peuvent être mobilisés dans un même projet, de même les deux modalités (parti et concept) peuvent être aussi utilisées pour un même projet27... Fonctionnant comme des isotopiesarchitecturales, ils visent à créer, avec les registres sélectionnés, une unité de sens, pour  réaliser la cohérence sémantique du projet, la cohérence de la forme architecturale globale. On peut avoir aussi une pluri-isotopie (superposition d’isotopies différentes qui exige alors des connecteurs...). D’une manière générale, elles agissent par itérativité, par récurrence sémantique, sur tous les registres : un même contenu, un même thème, une même idée (parti ou concept) ‘traverse’ l’ensemble des registres en se déclinant chaque fois de façon différente pour produire et renforcer l’effet de sens unitaire global recherché, sur le plan de l’expression comme sur celui du contenu de chaque registre. Ils agissent donc transversalement aux registres pour les fusionner (sémantiquement), par répétition d’un même contenu, produisant la cohérence (sémantique) recherchée de l’oeuvre. Ils interviennent aussi bien dans l’organisation du plan (distribution et composition), qu’en élévation, pour l’ordonnancement de la façade (expression et composition).  Cette notion et ce mécanisme isotopique esquissés ici restent encore à être approfondis.
Ainsi Alberti, par exemple, mobilise pour la synthèse spatiale de son architecture deux isotopies employées comme méta-opérateurs référentiels de son architecture : un concept, puisé hors du champ de l’architecture /l’édifice-corps/, et un motif, puisé dans le champ de l’histoire de l’architecture, dans l’Antiquité,  /les ordres classiques/. Ils sont tous deux relatifs à la culture et à l’idéologie de la Renaissance. Ces deux isotopies traversent les trois registres : necessitas (analogie entre édifice et anatomie du corps humain), commoditas (métaphore du fonctionnement biologique de l’édifice), voluptas (harmonie et perfection des proportions idéales du corps humain –mais aussi du corps animal, le cheval- comme modèle de mesure pour l’édifice pour définir sa beauté). Outre ces deux isotopies générales, ces deux méta-opérateurs généraux, Alberti emprunte également, pour des projets particuliers, d’autres motifs de l’architecture antique : le motif /arc de triomphe/ pour ses églises (temple de Malatesta à Rimini ; Sant’Andrea à Mantoue), le motif du Colisée /superposition arcade + ordre / pour son palais Rucellai à Florence...
Telles sont quelques-unes des contributions possibles de la sémiotique à une théorie de la conception architecturale, rapidement exposées, et tirées de mon expérience personnelle de recherche. On voit ce qu’elles doivent à A. Renier, avec qui j’ai longtemps collaboré, à travers les convergences et les divergences signalées de nos travaux respectifs.

السبت، 5 فبراير 2011

Fonctionnalisme (architecture)

Fonctionnalisme (architecture)

 
La tour du stade olympique de Helsinki, de Lindegren et Jäntti, construite en 1934-38
Le Fonctionnalisme en architecture est un principe architectural selon lequel la forme des bâtiments doit être exclusivement l'expression de leur usage. Cette formulation n’est pas si évidente qu’elle puisse paraître à première vue, elle est matière à confusion et à controverses à l’intérieur de la profession, particulièrement en ce qui concerne le Mouvement moderne.
On peut faire remonter la préoccupation fonctionnelle en architecture à Vitruve et à son triptyque où utilitas (qu’on pourrait traduire par commodité, confort ou utilité) au côté de venustas (beauté) et de firmitas (solidité), est l’un des trois piliers du programme classique de l’architecture.

Sommaire

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Le fonctionnalisme et l'esthétique[modifier]

Au début du XXe siècle, l’architecte de chicago Louis Sullivan se rendit célèbre en résumant en une phrase le mot principe du fonctionnalisme, form follows function (la forme suit la fonction), résumant sa pensée suivant laquelle la taille d’un bâtiment, sa masse, sa grammaire spatiale et toutes les autres caractéristiques de son apparences doivent dériver uniquement de sa fonction. Cette proposition impliquait que, si les tous les aspects fonctionnels sont respectés, la beauté architecturale en découlera naturellement et nécessairement.
Au même moment en 1908 à Vienne, Adolf Loos publiait Ornament und Verbrechen (Ornement et Crime)[1] où il combattait l’ornementation au profit de la lecture claire de la fonction dans la forme d’un bâtiment, en opposition aux styles éclectiques et académiques du XIXe siècle auxquels il était reproché de plaquer un décor sur les structures.
Cependant, le credo de Sullivan est profondément en décalage au regard des formes compliquées et anti-fonctionnelles pour lesquelles il est connu. Cette profession de foi laisse aussi un doute sur la nature de la fonction considérée. Par exemple, l’architecte d’un immeuble de logement peut être en contradiction avec le propriétaire de l’immeuble quant à l’esthétique et l’image qu’il entend obtenir de son immeuble, et tous deux peuvent se trouver en porte-à-faux avec celle des futurs occupants. Malgré tout, « la forme suit la fonction » reste l’expression d’une idée majeure et durable.

Le fonctionnalisme et la construction[modifier]

Le fonctionnalisme a le plus souvent proposé des formes qui découlaient des impératifs de la construction et mettaient en avant la réalité des matériaux et des forces physiques mise en oeuvres dans les bâtiments, plus que ses fonctions sociales. C'est pour cette raison qu'on rattache au fonctionnalisme l'essentiel de l'architecture moderne, et l'architecture brutaliste, auxquelles on reproche souvent avec raison d'être assez peu fonctionnelles.

Fonctionnalisme et architecture moderne[modifier]

Les origines de l’architecture moderne reposent sur le travail de l’architecte français d’origine suisse Le Corbusier et de l’Allemand Ludwig Mies van der Rohe. Tous deux furent fonctionnalistes, ne serait-ce que dans la mesure où leurs bâtiments simplifiaient les styles précédents. En 1923, Mies van der Rohe travaillait à Weimar, en Allemagne. Il avait commencé sa carrière en produisant des structures à la simplification radicale et animées d’un amour du détail, accomplissant ainsi les vœux de Sullivan : la beauté était inhérente à une structure bien pensée. Le Corbusier, lui, faisant référence au logement, parla de « machines à habiter » dans son livre Vers une architecture, publié en 1923. Ce livre fut, et est encore, une référence dans la pensée architecturale, tout comme l’une de ses premières œuvres, la villa Savoye à Poissy, machine à habiter, et maison-manifeste du fonctionnalisme.

Critiques du fonctionnalisme[modifier]

Depuis soixante-dix ans, l’éminent et influent architecte américain Philip Johnson soutenait que la profession n’a aucune responsabilité fonctionnelle, et c’est une tendance qui prévaut aujourd’hui.
La critique du fonctionnalisme, et incidemment des canons esthétique du Mouvement moderne en architecture, a été faite par Peter Blake, dans son ouvrage manifeste, Form follows fiasco, dont le titre parodie la célèbre formule de Louis Sullivan, puis par Charles Jencks et le mouvement du postmodernisme.
La plupart des autres architectes occidentaux célèbres tels Frank Gehry, Steven Holl, Richard Meier et I.M. Pei se voient comme des artistes sans responsabilité envers leurs clients ou usagers. Leurs bâtiments sont de l’Art et ne peuvent prêter le flanc à la critique. La position de l’architecte postmoderne Peter Eisenman se base sur une théorie hostile à l’égard de l’usager et encore plus extrême : « Je ne fais pas de la fonction ». Le débat sur le fonctionnalisme et l’esthétique est souvent cadré selon eux par des choix multiples et exclusifs, quand en fait ils sont architectes, comme Will Bruder, James Polshek et Ken Yeang, qui essayent de satisfaire les trois principes vitruviens.

Le langage architectural dans les romans

  « Le langage architectural dans les romans de Victor Hugo , de la technique au symbole »
 
A l’exception de Bug-Jargal, aucun des romans de Victor Hugo n’échappe totalement à ce que son compagnon de voyage, Charles Nodier, appelait le « démon Ogive » [1] , c’est-à-dire à cette passion, à ce « goût violent pour l’architecture » [2] que proclame Gringoire, au livre X de Notre-Dame de Paris, quand, revenu des échecs littéraires et conjugaux, il s’adonne avec une réelle jouissance à l’amour moins perfide des pierres. Une passion que le Victor Hugo raconté s’emploie à faire remonter à l’enfance comme un élan inné, modèle de rétrolecture édifiante d’une destinée :
« A peine avait-il dix ans que, déjà, il tenait pour sacrées la vie et les œuvres de l’homme. Déjà, il voulait qu’on abattît les échafauds et qu’on laissât debout les monuments, déjà il défendait les pierres, où les hommes mettent leur pensée, et les âmes, le livre où Dieu met la sienne. » [3]
En réalité, il semble difficile de dire dans quelles circonstances exactes Victor Hugo entre « en architecture », difficile d’évaluer quel dosage subtil d’expériences vécues (voyages réguliers, fréquentations d’artistes, de spécialistes) et de lectures a présidé à cette vocation qui ne se démentira jamais, ni ne se départira tout à fait de sa tonalité combative, au point de faire apparaître Hugo comme l’un des plus ardents défenseurs de ce qu’il est convenu de désigner aujourd’hui sous le terme de Patrimoine.
Dans Victor Hugo et l’art architectural [4] , Jean Mallion dresse l’inventaire des édifices représentés dans l’ensemble de l’œuvre ; il souligne que, durant les années qui séparent Han d’Islande de Notre-Dame de Paris, Hugo s’est forgé une idée constante et définitive en matière d’esthétique architecturale. Au cours de sa vie ses goûts ne varieront guère : la Renaissance, si mal nommée, signe pour lui la mort de la grande architecture, celle de la pensée de pierre , et les édifices construits ultérieurement, vides de sens, ne méritent que sarcasmes ; la palme revenant sans conteste à la rue de Rivoli dont l’ordonnance rectiligne reste la cible favorite de son ironie.
Le roman hugolien devait s’ouvrir à ce chantier historique, à ce combat pour la mémoire monumentale. Le plaidoyer le plus célèbre est bien évidemment le chapitre « Ceci tuera cela », ajouté au livre V de Notre-Dame de Paris, qui conféra à Hugo la compétence jugée nécessaire pour siéger au Comité des Arts et Monuments. L’entrelacs métaphorique qui structure ce texte développe la doctrine de l’unité des arts. Premier d’entre eux, l’architecture apparaît, au même titre que l’écriture, comme l’expression la plus achevée, résultant de l’union d’une forme et d’une idée. Il nous a semblé intéressant que Hugo ait particulièrement choisi le roman pour représenter et questionner l’art architectural. La définition étymologique du mot architecture proposée par Daniel Payot, dans Le philosophe et l’architecte, permet une relecture de « Ceci tuera cela » :
« L’étymologie nous apprend qu’il s’agit d’un composé : « tecture » nomme l’action de bâtir [...] ; quant au terme « archè » qui lui est apposé, on le traduit traditionnellement de trois façons : le commencement [...], le commandement [...], le principe [...] L’archè s’ajoute à la tecture. Cet ajout porte tout de suite à conséquence. Il se trouve maintenant en rapport avec ce qui n’est pas d’emblée lui-même, avec ce qui diffère de lui et avec quoi cependant il se compose [...] La simple tecture devient, par ce rapport archi-tecture. Si nous employons, en général, ce mot, nous désignons donc une construction qui n’est pas simple bâtisse : qui en diffère par un supplément d’archè. L’architecture est relation, composition ; l’édifice architectural est une construction supplémentaire. » [5]
Pour représenter un édifice, chaumière ou palais, le texte romanesque s’affiche, lui aussi, comme construction supplémentaire, supplément de mots et supplément de sens qu’exhibe la description architecturale. L’auteur, féru d’architecture, voyageur antiquaire, a recours à un lexique spécialisé qui authentifie les édifices. « Ceci tuera cela » annonce cette mise en scène d’une nomenclature. Pour parler d’architecture, l’auteur interrompt le fil narratif : « Ceci tuera cela » s’engage dans une digression, sentier détourné qui risque de heurter et de lasser les lectrices [6] lorsque priorité est donnée au texte descriptif, voire explicatif. Entre cet appendice, cet inventaire supplémentaire et le projet romanesque existe une tension. Comment l’objet architectural s’insère-t-il dans le roman, comment en devient-il un élément signifiant ?
Enfin, le chapitre « Ceci tuera cela » confère au roman une dimension poétique et philosophique. Lorsque Hugo confronte les « deux livres, deux registres, deux testaments » de l’Humanité : « la bible de pierre et la bible de papier », il célèbre le même élan créateur. Sa réflexion théorique recourt systématiquement aux métaphores et aux symboles. La symbiose entre architecture et écriture s’opère à travers une rhétorique, un savoir-faire qui signe l’acte de création. Un supplément de mots
Ce sont les mots, matériau linguistique, qui nomment et élèvent l’édifice. Dans tous les romans, la présence de l’architecture se manifeste à travers un réseau toponymique précis ; y compris la lointaine Norvège, références bibliographiques à l’appui, y compris même l’Océan avec ses écueils, « ces maisons de la vague » [7] , chaque lieu est figuré par des constructions réelles, des bâtiments choisis pour leur valeur emblématique capable d’assurer l’ancrage géographique et historique de la fiction romanesque mais également d’authentifier, comme par contamination, les édifices imaginaires. Des fenêtres du palais de Corleone-lodge qui n’existe pas, il est possible de découvrir « parfois une rivière qui était la Tamise, parfois une grosse tour qui était Windsor. » [8] . Symboliquement, Quatrevingt-treize oppose Paris à la Vendée et la salle des Tuileries, où siège la Convention, à la Tourgue. De même que les Tuileries, la Tourgue résulte d’une histoire architecturale, histoire orientée, selon les époques, vers la défense ou vers l’esthétique. Château-fort, elle recèle des pièges et des passages secrets conformes à « la tradition du pays » [9] ; certaines particularités la rapprochent de sites connus, visités par Hugo. Les maîtres du lieu, les princes Gauvain, agissent comme les plus grandes familles du pays, leur demeure s’apparente donc aux châteaux qui ont marqué l’histoire. L’évolution de la Tourgue s’explique par le besoin de « copier Versailles » [10] ; à la tour médiévale fut ajouté un pont sur piles et « sur ces piles, on construisit, comme à Chenonceaux, un édifice en style Mansard, plus logeable » [11] . Il n’est pas jusqu’au nom de la bastille familiale qui ne prenne son sens dans une tradition : l’étymologie des mots travaillés par l’usure ou l’impropriété garantit une forme d’historicité :
« La Tourgue, abréviation paysanne, signifie la Tour-Gauvain, de même que la Jupelle signifie la Jupellière, et que ce nom d’un bossu chef de bande , Pinson-le-Tort, signifie Pinson-le-Tortu. » [12]
Si, comme d’autres écrivains de son époque, Hugo se trouve affecté, selon Philippe Hamon, d’une maladie, « celle de « voir l’architecture » » [13] , plus que d’autres, il construit sa représentation architecturale, en jouant des règles de la perspective. Du gros plan au détail lointain, le récit adopte parfois une organisation quasi picturale qui n’est pas sans évoquer les œuvres du dessinateur. Notre-Dame, en gros plan, donne son nom au roman, mais ses tours se profilent aussi au point de fuite de nombreuses descriptions de Paris. Les dômes de la Salpétrière, des Invalides ou du Val de Grâce se découpent aussi dans le ciel parisien et leur évocation, si brève soit-elle, semble garantir l’existence des édifices de premier plan que sont la masure Gorbeau ou le couvent du Petit Picpus. L’œil est comme attiré vers le détail vrai. A la vision en hauteur souvent étudiée chez Hugo, il serait possible d’adjoindre le goût de la répartition des volumes, le jeu des plans et des découpages.
Tous les édifices, œuvres monumentales ou simples bâtisses, prennent forme grâce à un vocabulaire technique, un lexique spécifique qui compte environ 350 mots dont la plupart sont présents dans Notre-Dame de Paris. Ce lexique comporte une désignation des édifices selon leur appartenance à l’une des catégories que définit le Dictionnaire Encyclopédique Larousse du XIX° siècle :
- l’architecture religieuse (différents cultes, monuments funéraires)
- l’architecture civile (habitations privées, édifices publics, édifices commerciaux, prisons, hôpitaux et lieux de spectacle)
- l’architecture militaire (édifices fortifiés, ouvrages défensifs)
- l’architecture hydraulique (ponts, phares, quais)
Il faut ajouter à cela un très grand nombre de termes monosémiques relevant de l’architecture ornementale, extraits d’ouvrages spécialisés ou de dictionnaires, désignant les façades, les éléments en saillie, les arcs, les renforts, les ouvertures, les escaliers et les motifs ornementaux.
L’importance de ce vocabulaire fait de la description architecturale le lieu d’une mise en scène du savoir et de la compétence linguistique. Elle est dépositaire d’une connaissance et de sa transposition ; elle reproduit d’ailleurs la démarche scientifique de l’archéologie. Nommer, décrire et classer furent les taches essentielles des sociétés savantes « qui accomplissaient, écrit Françoise Bercé, la même démarche fondatrice que Linné et ses disciples définissant une taxinomie des espèces naturelles. La mémoire nationale pouvait, dès lors, être enrichie de tous les monuments reconnus, nommés, inventoriés. » [14] . Les interventions de Hugo au Comité des Monuments vont dans le même sens puisqu’elles portent sur la nécessité de travailler sur la terminologie, en particulier « pour les diverses parties architectoniques des monuments » [15] . Plus encore, il souhaite allier le mot à la représentation graphique, comme le mentionne le compte rendu de séance : « Il croit que la désignation du cintre par exemple, sera toujours insuffisante, en quelque bon style qu’elle soit faite, car il y a au moins quatre types de cintres très difficiles, sinon impossibles à décrire. Il désire donc qu’on dresse pour les formes architectoniques une série d’alphabets chronologiques comme on le fera pour les formes paléographiques. » [16]
Même au sein des contraintes fictionnelles, l’œuvre littéraire traduit l’œuvre architecturale au plus juste ; le savoir-faire linguistique rend hommage au savoir-faire technique et artistique, non sans risques. En effet, la spécialisation des termes retient l’attention du lecteur, au détriment de l’objet représenté ; les marques les plus évidentes de l’illusion référentielle « déréalisent » la représentation. Soit, la lecture procède par recoupement ou contiguïté sémantique vers une signification qui n’exclut pas l’approximation. En l’absence d’élucidation, les mots « pouquelaie » ou « arradash », par exemple, transmuent leur opacité en fragment poétique. Soit, le langage architectural s’accompagne d’un discours métalinguistique, le texte descriptif tourne à l’explicatif et subit une sorte de dédoublement pour « parler des mots au lieu de parler des choses » [17] . La description lexicale se superpose à la description architecturale par des procédés d’équivalences, des recours aux analogies et à la glose :
« ...des patios à l’espagnole, qui sont de petites cours quadrangulaires entre de grands bâtiments » [18]
« Une retirade valait mieux. Une retirade, c’est un retranchement à angle rentrant, sorte de barricade chevronnée... » [19]
Il va de soi que la présence de définitions, d’explications, de reformulations conduit à une inflation du texte descriptif. Amateur et érudit, Hugo intègre la langue de l’architecture en tant que matériau de base, indispensable à la crédibilité de sa représentation, non sans excès. Mais architecte lui-même, il ne peut perdre de vue la structure de son propre édifice qui répond à de semblables critères d’équilibre, de proportion au service d’une dynamique narrative. La description architecturale : une construction supplémentaire
Décrire un édifice met en jeu toutes les opérations de lecture du réel, de la transposition à l’interprétation, de l’appréciation technique à l’évaluation esthétique, au risque de ménager dans le roman des moments « hors-texte » qui dérogent parfois aux impératifs narratifs, puisque, comme le rappelle Philippe Hamon : « Qui dit récit, dit transformation et orientation. » [20] . Ce postulat souligne d’emblée le dilemme essentiel qui sous-tend les rapports de la représentation architecturale et de la narrativité. Comme tout autre sujet de description (portrait, paysage...), la description architecturale oppose un « état des lieux » statique à la conduite du projet romanesque. Plus que tout autre objet de description, elle concentre un certain nombre d’objectifs : le souci didactique de transmettre le mot juste, l’outil adéquat, le discours normatif d’un jugement esthétique commentant une œuvre tout en la reconstruisant par l’écriture. Autant d’exigences qui multiplient les tensions au sein de la cohérence romanesque en modifiant l’attitude du lecteur attentif aux structures syntaxiques et logiques du récit, attitude qui peut aller jusqu’au rejet pur et simple du passage. Rappelons ici les critiques acerbes formulées par Barbey d’Aurevilly à l’encontre des digressions et descriptions hugoliennes, accusées de déséquilibrer, voire de dénaturer le roman :
« Lui, l’architecte amoureux de l’architecture, mais que l’architecture n’aime pas, n’a jamais compris l’harmonie qu’en vers [...] Dans le premier volume de l’Homme qui rit, il ne bâtit pas : il plaque. Faiseur par pièces et par morceaux, il coupe le fil à son récit et à ses personnages avec des dissertations abominables, dans lesquelles se débattent, comme dans un chaos, les prétentions d’un Trissotin colossal. » [21]
Barbey d’Aurevilly fustige le grand esprit qui s’abaisse à « des besognes inférieures de pédant et de faiseur de dictionnaires » [22] . La teneur polémique du propos et le conservatisme militant mis à part, reste le reproche fondamental qui considère tout effet de liste comme un sentier dévoyé de l’écriture romanesque. Si nous opposons à cette lecture celle de Michel Butor, nous constatons une curieuse symétrie qui a précisément pour axe la métaphore architecturale. L’excursus descriptif ou réflexif est analysé comme une ligne perpendiculaire de la narration hugolienne ; le rapport qui ferait de cette « parenthèse » un simple détail de l’ensemble est inversé :
« Celle-ci est la fenêtre d’un édifice qui permet de voir le passage à l’intérieur duquel celui-ci est construit. Nous n’avons nullement là un détail agrandi de l’anecdote, mais au contraire ce dont cette anecdote n’est qu’un détail... » [23]
Autre époque, autre lecture : au « placage » répond le « massif » ; le roman est perçu comme une totalité signifiante.
Il est vrai que nombre de descriptions d’édifices succombent à la tentation du morceau choisi. D’abord parce qu’elles constituent des chapitres autonomes, depuis le panorama de la ville de Drontheim jusqu’au plan précis et numéroté de la Tourgue, en passant par les livres de Notre-Dame de Paris consacrés à la cathédrale et à la ville, aux édifices repaires que sont Plainmont ou la Jacressarde dans les Travailleurs de la mer. Ensuite, parce que Hugo, quelle soit la taille de la séquence descriptive, se plaît à en souligner les contours, à en accentuer les limites grâce à l’emploi presque systématique de formules introductives et conclusives redondantes. Ce démarquage affirme dans le même temps la posture d’autorité de celui qui décrit, libre d’intervenir au moment opportun, de décider du caractère exhaustif de son texte et même de mettre en parallèle les techniques descriptives. Les chapitres « Paris à vol d’oiseau » et « Une bastille en province » s’achèvent l’un et l’autre par un résumé aussi succinct et dépouillé que le texte qu’il condense est détaillé et documenté ; le croquis succède au tableau comme si s’exprimait là, non sans ironie, tout l’arbitraire de l’écrivain, conscient de ses choix et de ses capacités à les traduire. L’écriture a le pouvoir de construire, de restaurer les édifices, c’est ce qu’affirme, a contrario, le motif récurrent de la démolition :
« Cette ruine est aujourd’hui tout à fait démolie, il n’en reste aucune trace. » [24]
« On a démoli l’ancien palais, ce qui a un peu démoli les anciens usages. » [25]
« Ce serait vainement qu’on chercherait aujourd’hui, dans l’anse du Houmet, la maison de Gilliatt, son jardin, et la crique où il abritait la panse. Le Bû de la rue n’existe plus. » [26]
Les constructions textuelles que sont les descriptions n’existent que le temps d’une lecture.
Tentation du morceau choisi encore parce que pour être à la hauteur de son objet, la description affiche une écriture artiste ou scientifique. Michel Collot a analysé, par exemple, le style baroque des descriptions du palais de Corleone-lodge et du phare d’Eddystone. Il insiste sur « le plaisir que Hugo prend à écrire ces formes capricieuses, qui correspondent si bien à ses propres tendances stylistiques. » [27] . Le phare d’Eddystone est le prétexte à l’édification d’un écueil rhétorique, isolé dans le flux narratif, dont Michel Collot rappelle le caractère superflu. En débordant de broderies architecturales et poétiques, l’édifice et le texte mobilisent le regard :
« On y prodiguait les balcons, les balustres, les tourelles, les logettes, les gloriettes, les girouettes. Ce n’étaient que mascarons, statues, rinceaux, volutes, rondes-bosses, figures et figurines, cartouches avec inscriptions. » [28]
Nourrie des souvenirs du voyageur archéologue ou du lecteur d’ouvrages érudits, la description architecturale ne se contente pas de transposer une œuvre déjà composée, elle mime la densité de l’édifice. Lorsque, devant la chapelle de la rue des Bernardins, Gringoire commente à Frollo, la facture d’un escalier, les mots s’emboîtent comme les degrés de celui-ci, le langage rivalise de technicité avec son modèle par le jeu, sans doute ici ironique, des allitérations et des homéotéleutes :
« Voilà un escalier ! chaque fois que je le vois, je suis heureux. C’est le degré de la manière la plus simple et la plus rare de Paris. Toutes les marches sont par-dessous délardées. Sa beauté et sa simplicité consistent dans les girons de l’une et de l’autre, portant un pied ou environ, qui sont entrelacés, enclavés, emboîtés, enchaînés, enchâssés, entretaillés l’un dans l’autre, et s’entre-mordent d’une façon vraiment ferme et gentille ! » [29]
Néanmoins, à y regarder de plus près, il nous semble qu’aucune description de bâtiment, aussi prolixe et arbitraire soit-elle, n’est totalement inopérante dans la dynamique narrative. L’architecture hugolienne raconte et se raconte. Certains édifices se construisent par étapes, au fil de descriptions partielles ou de points de vue différents. La lecture procède alors par recoupements et reconstitutions : la demeure d’Ursus est une roulotte hybride dont la dénomination ne saurait être exacte et définitive. Une inscription, lisible par tous, permet de l’identifier :
« Les passants pouvaient, par le trou de la lucarne de l’arrière, lire au plafond de la cahute cette enseigne, écrite à l’intérieur, mais visible du dehors, et charbonnée en grosses lettres : URSUS, PHILOSOPHE. » [30]
Cette première description sert de référent aux évocations ultérieures d’une « chose qui était là » que le personnage découvre mais que le lecteur reconnaît. A partir de ces marques originelles et immuables, la carriole pourra subir toutes les transformations, liées à son succès ou à sa déchéance, elle sera toujours identifiable. La description sollicite la mémoire du lecteur, l’édifice s’inscrit dans la durée narrative.
La présence et le regard des personnages dramatisent la représentation architecturale en motivant la description. Ils redéfinissent l’édifice comme lieu de vie , comme espace d’une expérience individuelle ou collective. Michelle Fléchard, parvenue au terme de sa quête douloureuse, voit « sortir de l’extrême horizon une haute tour ». [31] Les caractéristiques architecturales, qui permettent au lecteur d’identifier l’édifice, révèlent au personnage l’horreur de la situation :
« ...et dans la déchirure la tragique bastille, soudainement démasquée, se dressa visible tout entière, donjon, pont, châtelet, éblouissante, horrible, avec la magnifique dorure de l’incendie, réverbéré sur elle de haut en bas. » [32]
Les édifices qui jalonnent leur parcours modèlent les personnages : la quête d’Ordener passe par des sites précis, le condamné à mort est transféré dans trois lieux que son journal mentionne dans ses en-têtes, Jean Valjean, Clubin, Gwynplaine progressent dans des lieux à l’image de leur destinée. L’architecture figure l’ascension ou la perdition, elle marque les étapes de l’initiation et symbolise l’adéquation entre ce que Philippe Hamon appelle « l’habitat » et « l’habitant ». Plusieurs titres de livres en témoignent : « Tel maître, tel logis » dit combien Gillenormand vit encore au XVIII° siècle, « A maison visionnée, habitant visionnaire » explique l’exclusion de Gilliatt. Étranger, il loge dans une maison étrange, isolée, dont il accepte la précarité :
« Ils vivaient seuls, et évités. Ils se suffisaient [...] La maison avait été chétivement réparé, assez pour y vivre. Il ne pleuvait dans les chambres que par les très gros temps [...] La maison était suffisamment meublée de deux coffres de chêne, de deux lits, de six chaises et d’une table, avec ce qu’il faut d’ustensiles. » [33]
Mess Lethierry fait également corps avec sa maison. Il représente la réussite guernesiaise, réussite maritime qui inclut le risque financier. C’est à crédit qu’il a acheté sa maison, les Bravées, dont le nom renforce l’image positive du personnage. Sa situation « entre mer et jardin » résume les centres d’intérêts de ses deux occupants et reproduit aussi la double identité de l’île anglo-normande, accentuant encore l’enracinement de son propriétaire. L’impopularité de Gilliatt, véritable pestiféré logeant dans « une sorte de lazaret » [34] s’oppose à la gloire de Lethierry dont la maison « faisait partie de la muraille même du port » [35] de Saint-Sampson.
Le personnage et l’édifice se façonnent mutuellement : le corps de Quasimodo a été comme modelé par la cathédrale qui l’a vu grandir, l’esprit de Gauvain s’est forgé entre les vieux murs de la bibliothèque du château féodal. Parfois, eux-mêmes actants, les bâtiments connaissent une destinée heureuse ou malheureuse.
Habités, abandonnés, visités, assaillis ou incendiés, les édifices sont bien des lieux de récits qui prêtent leurs structures au déroulement romanesque. Certains détails ont leur importance dans les chemins de traverse du récit ; ils apparaissent comme des motifs narratifs stylisés, souvent annonciateurs des événements à venir. Le sens du roman passe par ces visites guidées et ces écritures de pierre à déchiffrer. Un supplément de sens
Si « l’architecture a été la plus grande écriture du genre humain. » [36] , sa représentation littéraire se doit de multiplier les moyens rhétoriques capables de traduire « un supplément de production, dans une éminence particulière du faire constructeur : dans sa « poésie » » [37] . Peu de descriptions chez Hugo s’en tiennent à leur valeur explicative et référentielle. Le recours aux images, utile à l’élucidation de quelques termes techniques, traduit plus souvent un glissement systématique vers une représentation symbolique. Les mots de l’architecte trouvent un écho poétique qui amplifie le pouvoir figuratif du bâtiment. Il faut rappeler l’image utilisée par Hugo à propos de l’hôtel de ville de Bruxelles : « une fantaisie de poète tombée de la tête d’un architecte » [38] . Une inversion des termes permettrait de définir nombre de descriptions architecturales présentes dans les romans. Personnifications et images anthropomorphiques confèrent aux édifices une dimension métaphorique. Les masures aux allures de vieilles femmes dessinent le portrait du Paris médiéval, de Weymouth ou de Saint-Malo, son double continental :
« Une confusion de tanières de bois sculptées, et vermoulues, ce qui est une autre sculpture, d’informes bâtisses branlantes à surplombs, quelques-unes à piliers, s’appuyant les unes sur les autres pour ne pas tomber au vent de mer, et laissant entre elles les espacements exigus d’une voirie tortue et maladroite, ruelles et carrefours souvent inondés par les marées d’équinoxe, un amoncellement de vieilles maisons grand’mères groupées autour d’une église aïeule, c’était là Weymouth. » [39]
Les baraques de la ruelle Coutanchez, décrites presque dans les mêmes termes, et parmi elles la Jacressarde, offrent le faciès du crime qui s’abrite derrière leurs murs. L’espace métaphorique prolonge le principe de réversibilité et de redondance entre les personnages et les bâtiments. Comme le personnage, l’édifice vieillit et porte les marques de sa décrépitude. Il meurt et sa dépouille hante le paysage : la Tourgue surgit du passé, tel un spectre. A ses côtés subsistent quelques restes de la charpente du corps de logis, « sorte d’ossature à travers laquelle passait le jour, et qui se dressait auprès de la tour, comme un squelette à côté d’un fantôme. » [40] . L’édifice est un corps dont l’anatomie est parfois exhibée sans pudeur ; sa façade comporte des yeux et une bouche, son intérieur révèle des entrailles tortueuses. Le voyageur ou le personnage s’engage dans ce parcours intime, à la limite de la transgression. La même sensualité exacerbée émane des méandres du palais de Corleone-lodge que de la caverne immergée (« le dedans d’un édifice sous mer »)où Gilliatt s’est égaré.
La création métaphorique est favorisée par des analogies, des oppositions. Aux archétypes architecturaux que sont les pyramides, le Labyrinthe et la tour de Babel qui fournissent de nombreuses comparaisons et métaphores, Hugo mêle des références plus prosaïques. Les différents règnes naturels se confondent : l’exemple le plus constant étant le madrépore qui appartient au règne animal mais que sa forme corallienne apparente au règne minéral. Le caractère hybride de l’animal sollicite l’imaginaire et le rapprochement avec toute forme de labyrinthe naturel ou architecturé s’impose facilement.
L’architecture se fait poésie à l’image de la longue liste des châteaux gravée par Ursus sur les parois de sa cahute : chaque château a les contours d’une strophe, architecture poétique pour une poésie architecturale dont se souviendra Gwynplaine :
« Les peintures et les énumérations d’Ursus, ses inventaires lyriques, ses dithyrambes de châteaux, de parcs, de jets d’eau et de colonnades, ses étalages de la richesse et de la puissance, revivaient dans la pensée de Gwynplaine avec le relief d’une réalité mêlée aux nuées. » [41]
Presque un commentaire de Hugo sur sa propre écriture. Le roman trouve dans l’architecture une expression riche qu’il transforme en matériau poétique. Le langage technique et le langage poétique ne s’opposent pas, ils témoignent du même travail, du même goût pour les mots, quelquefois rares et précieux.
L’écriture métaphorique traduit le caractère essentiellement symbolique de l’architecture dont parle Hegel et que le chapitre « Ceci tuera cela » met en évidence :
« Le symbole avait besoin de s’épanouir dans l’édifice.
L’architecture alors se développa avec la pensée humaine ; elle devint géante à mille têtes et à mille bras, et fixa sous une forme éternelle, visible, palpable, tout ce symbolisme flottant. » [42]
La valeur emblématique de l’architecture trouve pleinement son rôle dans la représentation romanesque qui met en scène la société et l’Histoire. L’édifice, « monument et document » [43] , selon la formule de Philippe Hamon, témoigne des structures sociales. Construction babélienne, la société écrase les plus faibles : la verticalité des bâtiments, la répartition de leurs étages, la mention de leurs surplombs organisent cette superposition oppressante. Le vertige saisissant le personnage qui parvient au faîte de l’édifice social est à la mesure de l’espace à franchir :
« Un homme qui s’est endormi dans un trou de taupe et qui se réveille sur la pointe du clocher de Strasbourg ; c’était là Gwynplaine. » [44]
Dans un plan horizontal, l’œuvre bâtie délimite une géographie symbolique des espaces sociaux antithétiques :
« La rue commençait par deux maisons [...] La maison de droite était plutôt un toit qu’une maison, rien de plus chétif ; la muraille était de torchis et le toit de paille ; il y avait plus de chaume que de mur [...] La maison de gauche était large, haute, toute en pierre, avec toit d’ardoises. Fermée aussi. C’était chez le Riche vis-à-vis de Chez le Pauvre [...] Il y avait dans l’hôtel de pierre et dans le logis de chaume la même surdité aux misérables. » [45]
De la ville médiévale au décor urbain du XIX° siècle, les limites n’ont guère évolué et les maisons de pierre restent sourdes. Si l’ascension sociale du personnage prend la forme d’édifices, elle passe aussi par le franchissement des limites figurées par les portes : porte « légitime » et porte « bâtarde », porte « d’apparat » et porte « de souffrance », « grande porte dorée » pour Gwynplaine ; d’autres portes jalonnent l’itinéraire de Jean Valjean.
Mais surtout, l’édifice fixe un moment de l’Histoire, autorise ou dénonce une lecture des événements passés : « L’histoire passe, l’art reste. » [46] . Le défenseur des monuments qu’est Hugo estime la valeur d’un tel témoignage. Dans une note de Notre-Dame de Paris , il plaide pour le Palais des Tuileries qui doit être considéré comme une relique. Porteur des stigmates de l’Histoire, il en est le corps glorifié :
« Les Tuileries ne sont plus simplement un chef-d’œuvre de l’art du seizième siècle, c’est une page de l’histoire du dix-neuvième siècle. Ce palais n’est plus au roi , mais au peuple. Laissons-le tel qu’il est. Notre révolution l’a marqué deux fois au front. Sur l’une de ses façades, il a les boulets du 10 août ; sur l’autre, les boulets du 29 juillet. Il est saint. » [47]
Le lexique architectural a ainsi valeur d’indice archéologique et idéologique. L’histoire, qui ne connaît pas de second plan, affleure dans des détails qui concentrent le passage du temps et l’esprit des siècles. Les modifications architecturales, si souvent développées par Hugo, méritent une interprétation attentive sans quoi le monument échappe à son sens premier. D’ailleurs, les erreurs de l’histoire monumentalisées n’échappent pas au jugement : c’est le « tuyau de poële » de la Bastille ou « la fausse colline monument » de Waterloo. Quant aux barricades, elles se dressent sur un chaos de débris architecturaux. L’histoire en train de se faire a besoin de détruire pour reconstruire.
De Han d’Islande à Quatrevingt-treize, l’histoire a lesté la description architecturale : les tours des châteaux norvégiens prêtaient leurs silhouettes crénelées au décor gothique stylisé, la Tour Gauvain, véritable emblème féodal, construction séculaire, semble, malgré la densité de ses pierres, une représentation politique et idéologique.
Entre langage technique et langage symbolique, la représentation architecturale mime le processus de création qui donne d’abord forme, puis sens à la matière. En construisant comme en écrivant, l’homme ordonne le chaos et, même si son œuvre ne fait figure que de retouche du modèle divin, il prouve son existence en y inscrivant son empreinte. L’architecte et l’écrivain bâtissent un monde auquel ils insufflent l’esprit pour échapper au néant et à l’effacement. Cependant, la pensée analogique qui rapproche d’une part l’architecture divine, la nature, et l’architecture humaine, d’autre part l’architecture et l’écriture, nous semble conduire nécessairement à un troisième rapprochement entre la création littéraire et la création divine. Le modèle architectural ne serait peut-être alors que la médiation nécessaire à la formulation de cette analogie, la tour de Babel de Hugo .
Chantal Brière, groupugo.div.jussieu.fr

CONSTRUCTIVISME

Le constructivisme a pris son essor en réaction au behaviorisme qui limitait trop l'apprentissage à l'association stimulus-réponse. L'approche constructiviste de l'apprentissage met l'accent sur l'activité du sujet pour appréhender les phénomènes. La compréhension s'élabore à partir des représentations que le sujet a déjà. Aussi, dans cette perspective, les auteurs parlent de restructuration des informations en regard des réseaux de concepts particuliers à chaque personne.
Voir Lasnier (2000) : p.9

Approche développementale

Piaget (1896-1980), en réaction aux associationnistes, a développé une théorie du développement de l'intelligence où il a placé le sujet au coeur du processus; il en a fait l'acteur principal. Il suppose que le sujet construit sa connaissance au fil d'interactions incessantes avec les objets ou phénomènes. Il y aurait équilibration progressive, c'est-à-dire que des processus de régulations internes à l'oeuvre (auto-régulation) assuraient une meilleure adaptation de l'individu à son environnement. À cet égard, Piaget insiste sur le rôle du processus d'assimilation et d'accommodation : le premier permettant d'assimiler les nouvelles connaissances à celles déjà en place dans les structures cognitives et la deuxième permettant une transformation des activités cognitives afin de s'adapter aux nouvelles situations.
En outre, Piaget (1974) suppose différents niveaux de prise de conscience de la démarche cognitive que le sujet-apprenant mène ou a menée. Anticipant la prise de conscience comme une conceptualisation, il parle de la capacité de se représenter, de décrire les phénomènes ainsi que le déroulement de la démarche entreprise : saisie des moyens utilisés, justification de leur choix et/ou ajustements en cours de tâche.
Piaget a également parlé d'abstraction réfléchissante. Il suppose un mécanisme de réfléchissement (réflexion sur le développement de la connaissance). Piaget a observé que le sujet est capable de dégager les caractéristiques de ses actions et de ses processus cognitifs (tâches en mathématique).
Voir Dubé (1990) pp.203-210, Goupil et Lusignan : pp.50-52

Approche historico-culturelle

Vygotsky (1896-1934) privilégie une approche historico-culturelle de l'apprentissage. Il considère que l'enfant se développe grâce à des moyens que l'enfant puise dans son environnement social et grâce aux interactions sociales multiples. Il suppose le jeu de processus interpsychique qui entraîne le sujet à intérioriser ce qui a été appréhendé avec autrui. C'est une thèse différente de celle de Piaget qui privilégie le travail intrapsychique.
Voir Goupil et Lusignan (1993) pp.52-54
Vygotsky a abordé l'apprentissage humain sous l'angle de l'action structurante des nombreuses interactions que le sujet vit dans son environnement social ; le sujet construisant avec la médiation d'autrui des outils de pensée qu'il peut s'approprier pour son propre compte. Le médiateur joue alors un rôle important en s'intercalant entre le sujet et cette appropriation pour faciliter l'intériorisation et l'assimilation des outils de pensée ainsi que le développement de fonctions psychiques.
Pour étayer ses propositions, Vygotski suppose l'existence d'une zone sensible qu'il nomme "zone proximale de développement " laquelle renvoie à l'écart entre ce que l'individu est capable de réaliser intellectuellement à un moment de son parcours et ce qu'il serait en mesure de réaliser avec la médiation d'autrui. Cette manière de concevoir le dépassement est particulièrement intéressante pour qui se préoccupe de l'efficacité de l'action éducative.
Minier (2000)

Approche constructiviste interactionniste

Bruner (1996) a proposé, s'inspirant de Piaget, une théorie constructiviste de l'apprentissage axée autour de l'idée d'un sujet actif qui construit de nouveaux concepts ou idées à partir des connaissances déjà en place (structure cognitive). Le sujet sélectionne et transforme l'information, élabore des hypothèses et prend des décisions, relie et organise le fruit de ce travail cognitif à sa structure cognitive (i.e. schémas, modèles mentaux). En 1996, Bruner a ajouté à sa théorie l'aspect socioculturel de l'apprentissage.
Il met en avant l'importance de la maturation psychologique (stades de développement intellectuel), de la motivation intrinsèque et de la participation de l'élève dans un processus de découverte.  Il insiste également sur la nécessité d'une structuration cohérente des connaissances pour favoriser le processus d'appropriation des savoirs. 

Architecture constructiviste


Narkomtiajprom des frères Vesnine, 1934
Article détaillé : Constructivisme russe.
L'architecture constructiviste est un mouvement architectural qui s'est développé en Union soviétique dans les années 1920 et 1930. Elle allie une technologie et une ingénierie avancées avec une optique communiste affirmée. Alors que ce mouvement se divisait en plusieurs factions rivales, il fit éclore de nombreux projets originaux et réussit à mener à bien des réalisations, avant de tomber en disgrâce autour de 1932. Sa production a cependant eu une influence considérable sur l'architecture par la suite.

Sommaire


Une définition du Constructivisme]

L'architecture constructiviste sortit de la mouvance du Constructivisme, mouvement artistique concernant tous les arts, qui se développa à partir du futurisme russe. L'art constructiviste chercha à appliquer une vision cubiste tri-dimensionnelle à des « constructions » non-objectives entièrement abstraites avec des éléments cinétiques. Après la révolution de 1917, son attention s'est tournée vers de nouvelles exigences sociales et les tâches industrielles requéraient un nouveau régime. Deux courants différents apparurent ; le premier, résumé par le Manifeste réaliste d'Anton Pevsner et Naum Gabo, s'intéressait à l'espace et au rythme ; le second présentait un affrontement à l'intérieur du Narkompros (Commissariat du Peuple à l'éducation) entre ceux qui défendaient un « art pur » et les productivistes comme Alexander Rodchenko, Varvara Stepanova ou Vladimir Tatline, groupe plus orienté vers le social et qui voulait que cet art soit immergé dans la production industrielle[1].
Une césure se produit lorsque Pevsner et Gabo émigrèrent. Le mouvement se développa alors selon une optique utilitariste sociale. Le courant principal productiviste reçut le soutien du Proletkoult et de la revue LEF, et devint ensuite l'influence dominante de l'association architecturale O.S.A.

Une révolution en architecture]

Maison collectives par Nikolaï Ladovski, 1920
Le premier projet d'architecture constructiviste, et peut-être le plus célèbre, fut en 1919 la proposition pour le quartier général du Komintern de Saint-Petersbourg par le futuriste Vladimir Tatline, souvent appelé Monument à la Troisième Internationale ou tour Tatline. Bien que restée une architecture de papier, ses matériaux (verre et acier), son esprit futuriste et son penchant politique (les mouvements de ses volumes internes symbolisaient la révolution et la dialectique) donnèrent le ton des projets architecturaux des années 1920[2].
Un autre célèbre projet constructiviste précoce fut la tribune mobile pour Lénine de El Lissitzky (1920). Pendant la guerre civile russe, le groupe UNOVIS réuni autour de Kasimir Malevitch et El Lissitzky dessina des projets variés, réalisant le mariage contre nature du Suprématisme et ses abstraction non-objectives, avec des finalités plus utilitaristes, créant ainsi des villes idéales constructivistes — voir aussi la Prounen-Raum d'El Lissitzk ou la cité dynamique (1919) de Gustav Klucis. Avec ces travaux et ceux de Tatline, les constituants du Constructivisme peuvent apparaître comme une adaptation de différentes formes de constructions technologiques occidentales, comme les prouesses d'ingénierie de Gustave Eiffel ou les gratte-ciel de New York et Chicago, à une nouvelle société collectiviste.

ASNOVA et rationalisme]

Le club des travailleurs de Zouïev, 1927
Immédiatement après la guerre civile russe, l'URSS n'avait plus les moyens pour aucune commande architecturale. Malgré cela l'école d'avant-garde soviétique Vkhoutemas établit un département architectural dès 1921, dirigée par Nikolaï Ladovski, nommé ASNOVA (association de nouveaux architectes). Les méthodes d'enseignement étaient à la fois fonctionnelles et imaginatives, reflétant un intérêt pour la Gestalttheorie, menant à oser des expérimentations sur les formes comme le restaurant suspendu tout en verre de Simbirchev[3]. Parmi les architectes affiliés à ASNOVA se trouvèrent El Lissitzky, Constantin Melnikov, Vladimir Krinsky et le jeune Berthold Lubetkin[4].
Les projets de 1923 à 1935 d'El Lissitzky, les gratte-ciel à l'horizontale de Mart Stam et pavillons temporaires de Melnikov montrent l'originalité et les ambitions de cette association de nouveaux architectes. Melnikov aurait voulu dessiner le pavillon soviétique de l'exposition des Arts décoratifs de Paris de 1925 qui popularisa ce nouveau style avec ses espaces dessinés par Rodchenko et son aspect découpé et mécanique[2]. Un autre aperçu d'un environnement constructiviste vivant est visible dans le film à succès de science-fiction Aelita avec ses décors intérieurs et extérieurs anguleux et géométriques réalisés par Aleksandra Ekster. Les grands magasins Mosselprom de 1924 furent aussi un monument des premiers temps du Constructivisme dédié au consumérisme de la NEP, comme les magasins Mostorg dessinés par les frères Vesnine trois ans plus tard. Des bureaux modernes pour la grande presse deviendront aussi emblématiques, comme le siège d'Izvestia[5] construit entre 1926-27 et dessiné par Grigori Barkhin[6].

OSA[modifier]

Planétarium de Barsch/Sinyavsky à Moscou, 1929
Un style constructiviste plus froid et plus technologique fut introduit en 1923-24 par le projet de bureaux en verre des frères Vesnine pour le Leningradskaya Pravda. En 1925 le groupe OSA, l'Organisation d'Architectes Contemporains, lié au Vkhoutemas, fut fondé par Alexandre Vesnine et Moisei Ginzbourg. Ce groupe avait beaucoup en commun avec le Fonctionnalisme de l'Allemagne de la république de Weimar, comme les projets d'habitat d'Ernst May. L'habitat, notamment l'habitat collectif désigné sous le nom dom kommuny pour remplacer les logements collectifs du XIXe siècle qui étaient la norme fut la principale préoccupation de ce groupe. Le terme condensateur social fut forgé pour décrire leur but, suivant en cela les idéaux de Lénine qui écrivait en 1919 que « la réelle émancipation des femmes et le vrai communisme commencent avec la lutte des masses contre ces tâches domestiques secondaires et la vraie réforme des masses dans une vaste tâche domestique socialiste[7]. »
On compte parmi les projets d'habitat collectif construits la Maison collective de l'Institut textile d'Ivan Nikolaev (rue Ordzhonikidze à Moscou, 19291931) et les appartements Gosstrakh et, plus connu, le bâtiment du Narkomfin de Ginzbourg à Moscou. C'est dans des villes comme Karkov, Moscou, Léningrad, mais aussi d'autres villes plus petites que furent construits ces immeubles d'habitation. Ginzbourg dessina aussi le bâtiment du gouvernement à Alma-Ata, tandis que les frères Vesnine dessinaient l'École des acteurs de cinéma à Moscou. Ginzbourg critiqua l'idée que construire dans une nouvelle société était du même ordre que dans une ancienne : « traiter les maisons des ouvriers de la même façon qu'on le ferait pour une maison bourgeoise... de toute manière les constructivistes approchent le même problème avec un maximum de considérations pour ces renversements et ces changements de notre vie quotidienne... notre but est de collaborer avec le prolétariat pour créer une nouvelle façon de vivre. » OSA publia le magazine SA (pour Architecture Contemporaine) de 1926 à 1930. Avec la réalisation d'un îlot d'immeubles d'appartements à Moscou, Ladovski, tête de proue du rationalisme, conçut sa propre interprétation de l'habitat de masse assez différente des autres productions. Un exemple particulièrement extravagant est le village des tchekistes à Sverdlovsk (maintenant Yekaterinburg) dessiné par Antonov, Sokolov et Tumbasow, un complexe de maisons collectives en forme de faucille et de marteau pour membres de la police secrète, qui sert aujourd'hui d'hôtel.

Le quotidien et l'utopie[modifier]

Bâtiment Narkomfin de Moisei Ginzbourg, aujourd'hui menacé de démolition
Les nouvelles formes inventées par les constructivistes commencèrent à symboliser le projet d'une nouvelle vie, même dans ses aspects les plus quotidiens, dans l'Union soviétique de l'ère NEP[8]. Des bâtiments d'état furent construits, comme l'énorme complexe Gosprom à Kharkov[9] (dessiné par Serfimov, Folger et Kravets en 192628) qui fut rapporté dans le livre de Reyner Banham Theory and Design in the First Machine Age comme étant, avec le bâtiment du Bauhaus de Dessau, l'œuvre moderniste la plus importante en taille des années 1920[10]. Parmi d'autres réalisations remarquables on trouve la parabole en aluminium et la cage d'escalier en verre du planétarium de Moscou par Mikhail Barsch et Mikhail Sinyavsky en 1929.
Tour Choukhov à Moscou (1922), aujourd'hui menacée de démolition.
Le popularité de cette nouvelle esthétique mena les architectes traditionalistes à adopter le Constructivisme, telle la centrale électrique MoGES d'Ivan Zholtovsky en 1926 ou les bureaux Narkomzem d'Alekseï Chtchoussev, tous les deux à Moscou[11]. De même la tour Choukhov de l'ingénieur Vladimir Choukhov fut souvent considérée comme une œuvre d'avant-garde et fut gratifiée dans le journal de Walter Benjamin à Moscou de « structure sans équivalent à l'ouest[12]. » Choukhov a aussi collaboré avec Constantin Melnikov sur le garage pour bus de Bakhmétevsky et le garage de la rue Novo-Ryazanskaïa[2]. La plupart de ces bâtiments apparaissent dans le film de Sergei Eisenstein la Ligne générale qui montre aussi une ferme collective en maquette conçue par Andrey Burov.
Un objectif central des constructivistes fut d'instiller un esprit d'avant-garde dans la vie de tous les jours. À partir de 1927 ils travaillèrent sur des projets de maisons pour travailleurs, équipements collectifs de loisir généralement implantés dans l'enceinte des usines. Les plus célèbres sont les clubs Kaoutchouk, Svoboda et Roussakov dessinés par Constantin Melnikov, le club Likatchev des frères Vesnine et le club Zouïev d'Ilya Golossov.
Club Svoboda de Constantin Melnikov à Moscou
Parallèlement à cette incursion dans le quotidien, il y eut des projets plus baroques comme l'Institut Lénine d'Ivan Leonidov, une œuvre high-tech qui soutient la comparaison avec Buckminster Fuller. Cet institut consistait en une bibliothèque, un planétarium et un dôme de gratte-ciel, tous reliés entre eux par un monorail ; ou le très sérieux projet de ville volante de Georgii Kroutikov qui, comme son nom l'indique, est une ville dont les bâtiments volent dans les airs. La maison Melnikhov et le garage à bus de Bakhemtevsky sont des exemples intéressants des tensions entre l'individualisme et l'utilitarisme dans le Constructivisme.
Il y eut aussi les projets de gratte-ciel suprématistes appelés architektons de Kasimir Malevitch, Lazar Khikeidel et Nikolaï Suetin. L'élément fantastique trouve aussi son expression dans le travail de Iakov Tchernikhov qui publia plusieurs livres de compositions expérimentales — le plus connu étant Fantaisies d'architecture (1933) — lui valant le qualificatif de « Piranèse soviétique ».

Le Constructivisme en Occident[modifier]

Les contacts d'El Lissitzky en Allemagne et en Suisse, tout comme l'impact qu'eut le pavillon de Paris de Melnikov, amena de nombreux architectes non soviétiques de la fin des années 1920 à faire évoluer leur travail vers une sorte de constructivisme. Les architectes de la Neue Sachlichtkeit ayant collaboré avec El Lissitsky, comme Mart Stam et le groupe ABC dirigé par Hannes Meyer, ont embrassé une sévère géométrie et une esthétique technologiquement avancée typiquement constructiviste, bien qu'ils fussent très éloignés de son contexte original. L'évolution du Bauhaus vers « l'Art et la technologie — une nouvelle unité » fut souvent considérée comme une forme de Constructivisme, même si dans le livre du critique et designer tchèque Karel Teige l'Habitat minimum (1932) celui-ci utilise indifféremment les termes Fonctionnalisme et Constructivisme. Mais peut-être le meilleur exemple de Constructivisme à l'ouest est l'usine Van Nelle à Rotterdam construite par Leendert van der Vlugt (et Mart Stam) de l'agence d'architecture Brinkman & Van der Vlugt.

La fin du Constructivisme[modifier]

Garage Intourist dessiné par Constantin Melnikov, 1933
Le concours organisé en 1932 pour le palais des Soviets, projet grandiose censé rivaliser avec l'Empire State Building, fit aussi bien concourir les architectes majeurs du Constructivisme que Walter Gropius, Erich Mendelsohn et Le Corbusier. Cependant cet événement coïncida avec une critique généralisée du Modernisme qui était toujours difficile à défendre dans un pays resté majoritairement agricole (et peu enclin à la modernité venue de la ville). C'était aussi la critique d'un style tourné vers la reproduction de formes technologiques alors que sa mise en œuvre utilisait des méthodes de construction tout à fait ordinaires[13]. Le projet lauréat de Boris Iofane signa le début du style historiciste éclectique de l'architecture stalinienne, un style en réaction avec la Modernité jugée laide et sans âme, piochant et mélangeant dans les styles anciens, avec parfois des éléments technologiques contemporains. Les projets de logements comme le Narkomfin furent dessinés pour essayer de réformer la vie de tous les jours des années 1920, comme la collectivisation des équipements, l'égalité des sexes et l'éducation collective des enfants, tout ceci tombant en disgrâce lors du renouveau stalinien des valeurs familiales. Les styles de l'« ancien » monde furent remis à l'honneur avec en particulier le métro de Moscou popularisant l'idée de « palais pour le peuple. »
École 518 d'van Zvezdin, 1935
Jusqu'à la fin des années 1920 le Constructivisme fut l'architecture dominante du pays, et beaucoup de bâtiments de cette époque ont survécu. Les prémices du changement se produisit à travers un style plus classique tourné vers l'Art déco, initialement mâtiné d'éléments constructivistes comme la maison sur le quai d'Iofane en 1929–32. Pendant quelques années plusieurs bâtiments furent dessinés dans un style composite parfois appelé postconstructiviste.
Après une brève période de synthèse, la réaction néoclassique fut absolument dominante jusqu'en 1955. Les bâtiments rationalistes restèrent cependant courants dans l'architecture industrielle, mais disparurent des projets urbains. Les derniers bâtiments constructivistes furent démarrés en 1933–1935 comme le bâtiment de la Pravda de Panteleimon Golossov (achevé en 1935)[14], l'Institut textile de Moscou (achevé en 1938) ou l'entrée du métro de Moscou. Des projets indubitablement Modernistes furent proposés par les frères Vesnine et Ivan Leonidov lors du concours pour le Narkomtiajprom sur la place Rouge en 1934, un autre édifice stalinien non construit. Des traces de Constructivisme se décèlent encore dans quelques réalisations socialistes réalistes comme par exemple dans le pavillon futuriste ultrastalinien de l'Exposition universelle de Paris en 1937 dont les espaces intérieurs suprématistes avaient été dessinés par Nikolaï Suetin.

Les Sotsgorod et l'urbanisme[modifier]

Hôtel de ville par Noï Trotsky à Léningrad en 1932–34
En dépit de l'ambition de nombreuses propositions constructivistes pour la reconstruction des villes, il y eut assez peu d'exemples d'urbanisation constructiviste cohérente. Cependant le quartier Nervskaya Zastava à Leningrad devint un centre constuctiviste important. Au début, en 1925, de l'habitat municipal fut dessiné par des architectes comme A. Gegello ou Alexandre Nicolski de OSA, et des bâtiments publics furent aussi construits comme l'hôtel de ville du Kirov par Noï Trotsky (1932–34), une école expérimentale par G. A. Simonov et une série de laveries et de cuisines communales dessinées pour le quartier par des membres de l'ASNOVA[15]. Beaucoup de Constructivistes espéraient voir leurs ambitions se réaliser pendant la « révolution culturelle » qui a accompagné le Premier Plan quinquennal. Arrivés à ce point les Constructivistes étaient divisés entre les urbanistes et les désurbanistes qui plaidaient en faveur des cités-jardins ou de villes linéaires. Le modèle de la ville linéaire fut promu par Nikolaï Miliutin, à la tête du Commissariat des finances, dans son livre Sotsgorod (1930). Ce modèle fut repris à un niveau encore plus poussé par le théoricien de l'OSA Mikhail Okhitovitch. Son désurbanisme proposait un système de bâtiments pour une personne ou une famille connectés à un réseau de transports linéaires répandu sur un immense territoire et traversant les limites entre les zones urbaines et agricoles, ce en quoi il ressemblait à un Broadacre City (de Frank Lloyd Wright) socialiste. Les projets urbanistes et désurbanistes proposés pour des villes nouvelles comme Magnitogorsk furent souvent rejetés au profit de ceux plus pragmatiques des architectes allemands fuyant le nazisme, comme les membres de la « brigade de May » (Ernst May, Mart Stam, Margarete Schütte-Lihotzky) et de la « brigade du Bauhaus » menée par Hannes Meyer et Bruno Taut.
Un plan de désurbanisme de Ginzbourg et Barsch en 1930
L'urbanisme de Le Corbusier trouva aussi son bref moment de gloire avec sa réponse à Moscou qui donnera ensuite les plans de la cité radieuse et le projet du bâtiment gouvernemental Tsentrosoyuz en collaboration avec Nikolaï Kolli. Les appartements en duplex et les services collectifs du groupe OSA eurent une grande influence sur son travail.
Erich Mendelsohn, autre moderniste célèbre, dessina l'usine de drapeaux rouges à Leningrad et popularisa le Constructivisme avec son livre Russland, Europa, Amerika. Un projet du plan quinquennal avec des apports constructivistes majeurs fut le DnieproGuES, dessiné entre autres par Viktor Vesnine. El Lissitky popularisa aussi le Constructivisme hors des frontières avec son livre La reconstruction de l'architecture en Russie (1930).

Influence du Constructivisme aujourd'hui[modifier]

En partie à cause de ses attaches politiques — et de son remplacement par l'architecture stalinienne — les formes mécaniques et dynamiques du Constructivisme ne figurèrent pas au sein du Style international, calme et platonicien, défini par Philip Johnson et Henry-Russel Hitchcock. Leur livre ne comprend qu'un seul bâtiment de l'U.R.S.S., un laboratoire électrique fait par une équipe gouvernementale dirigée par Nikolaev[16]. Pendant les années 1960, le Constructivisme fut en partie réhabilité ; on peut considérer que des bâtiments plutôt expérimentaux comme le théâtre Globus de Novossibirsk ou les immeubles d'habitation Khrouchtchyovka dénués de toute ornementation sont en un sens une continuation du Constructivisme. En dehors de l'U.R.S.S. le Constructivisme fut souvent vu comme un Modernisme alternatif et plus radical, et son influence se voit dans des productions aussi diverses que celle du Team X, Archigram, Kenzo Tange et beaucoup d'œuvres brutalistes. Son imbrication de l'avant-garde avec le quotidien a des parallèles avec le Situationnisme, particulièrement le projet New Babylon de Constant Nieuwenhuis.
L'architecture high-tech doit aussi son dû au Constructivisme, surtout, bien évidemment le Lloyd’s Building de Richard Rogers. Les premiers projets de Zaha Hadid sont des adaptations des Architektons de Malévitch, et l'influence de Tchernikov apparaît clairement sur ses illustrations. Le Déconstructivisme évoque le dynamisme du Constructivisme, mais sans l'aspect social, comme dans le travail de Coop Himmelb(l)au. À la fin des années 1970, Rem Koolhaas publie une parabole sur la trajectoire du Constructivisme appelée The Story of the Pool, dans lequel les constructivistes s'échappent d'U.R.S.S. grâce à une piscine Moderniste se déplaçant toute seule, pour mourir peu après leur arrivée aux États-Unis, tués par la critique leur reprochant pratiquement la même chose que leur homologues staliniens.
Aujourd'hui la plupart des bâtiments constructivistes d'origine sont dans un état critique et sont en danger de démolition.

Galerie[modifier]